« Clearstream » avant Clearstream

Déjà en 1981 se montait en coulisse au sein de la droite une pseudo-affaire de corruption destinée à torpiller un de ses chefs.

Publié le 7 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Le personnage central de Choisir, le troisième tome des Mémoires de Valéry Giscard d’Estaing qui couvre les années 1978-1981, n’est pas François Mitterrand, bien qu’il fût son tombeur lors de la présidentielle de mai 1981. Au nombre de citations, il arrive loin derrière Jacques Chirac. Un Chirac tour à tour menteur, démagogue, agressif, corporatiste – « communiste » même ! – que Giscard résume (et assassine) en quelques lignes au détour d’un chapitre sur les enjeux du scrutin présidentiel : « Jacques Chirac, ce qui l’anime, c’est un désir fanatique d’accéder à la présidence de la République. Cette obsession efface pour lui tout le reste, les convictions aussi bien que le respect des règles. » Innombrables sont les anecdotes par lesquelles Giscard démontre que, sans l’acharnement de Chirac à le faire battre, il aurait été réélu en 1981.
Beaucoup de ces petites indiscrétions ont déjà été reprises par les médias. Sauf une, pourtant savoureuse au regard des événements actuels. Une véritable petite affaire Clearstream avant l’heure. Avec dans le rôle de la victime (aujourd’hui tenu par Sarkozy), Giscard ; et dans le rôle de l’ennemi qui s’en réjouit (en lieu et place de Villepin), Chirac lui-même !
Janvier 1981. Giscard reçoit la visite du leader de la gauche israélienne Shimon Pérès. La veille, le futur Premier ministre de l’État hébreu a rencontré Chirac à son bureau de l’hôtel de ville de Paris. Leur principal sujet de conversation a été l’élection présidentielle à venir. Question de Pérès : « Vous prenez le risque de faire battre Giscard ? » Réponse de Chirac : « Je n’ai pas le choix. Il faut que je me mette vite en situation de recours, car il va sortir à la fin de mars dans la presse américaine un dossier épouvantable sur le président. Un dossier qui le tue et l’empêche de se présenter. » Interrogé par Pérès, Chirac refuse de citer ses sources, mais insiste sur leur fiabilité. Le lendemain, choqué et incrédule, Pérès n’ose pas aborder le sujet directement lors de son entretien avec Giscard, préférant en faire la confidence à un ami proche du secrétaire général de l’Élysée, dont il sait qu’il transmettra ensuite l’information au président lui-même. Fin du premier acte.
Fin avril 1981. Giscard et Mitterrand s’affrontent au second tour de la présidentielle. Comme le prévoyaient les sondeurs, Chirac a été nettement distancé. Trois mois après ses révélations à Pérès, le « dossier épouvantable » qui devait sortir fin mars n’est toujours pas paru dans la presse américaine. C’est alors que naît le « Comité d’information et de vérité sur le septennat », une association anti-Giscard constituée en majorité de journalistes manipulés par certains candidats à l’Élysée (Mitterrand notamment, mais pas seulement). Dans une lettre ouverte publiée par le quotidien de gauche ?Le Matin de Paris, le Comité s’intéresse à une mystérieuse conspiration montée outre-Atlantique, entre Los Angeles et New York. Giscard raconte : « Le secrétaire général de la présidence [celui-là même qui lui avait rapporté les propos tenus par Chirac à Pérès] insère dans mes dossiers du soir des télégrammes d’agences de presse américaines qui font état d’une escroquerie à grande échelle, portant sur des pierres précieuses, dans laquelle on aurait essayé de m’impliquer. » Sortie en octobre 1979 dans Le Canard enchaîné, l’affaire des diamants offerts par Bokassa au président français est encore toute fraîche Giscard poursuit : « Les contrôles effectués par l’administration américaine ont rendu impossible le montage de l’opération, qui s’est effondrée dans le ridicule. On n’en entendra plus jamais parler, mais comment Jacques Chirac en avait-il été informé à l’avance ? » Et que serait-il advenu de l’affaire des « pierres précieuses américaines » si des mythomanes-manipulateurs comme Jean-Louis Gergorin – le corbeau de Clearstream – y avaient trempé ?
Évidemment, Chirac n’a pas averti Giscard de ce qui se tramait contre lui comme Villepin n’a pas prévenu Sarkozy quand il a su que son nom était mêlé à l’affaire Clearstream. Reste quelques zones d’ombre. Pour pouvoir être aussi bien informé, Chirac avait-il lancé ses limiers pour enquêter sur cette affaire ? À vingt-trois ans de distance, Villepin n’a pas hésité. Autre question : Giscard lui-même n’en savait-il pas plus – et n’en a-t-il pas été averti plus tôt – qu’il ne l’avoue (comme Sarkozy) ? Dans ses Mémoires, Giscard se refuse malheureusement à aller plus loin. Même si ses sous-entendus sont lourds de sens, l’ancien président n’ira jamais jusqu’à accuser Chirac d’avoir lui-même monté l’affaire comme Sarkozy ne se hasarde pas à accuser publiquement Villepin d’avoir inventé Clearstream.

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