Agent colonial malgré lui ?
Contrairement à la plupart des auteurs arabes de « l’âge d’or », dont l’apport est systématiquement minoré ou passé sous silence, Ibn Khaldoun a fait l’objet, dès ses premières traductions, d’une attention soutenue en Occident. On le considère volontiers, à l’instar d’Ibn Rochd, comme une sorte d’égaré, un penseur à l’esprit, aux méthodes et à la rationalité tout « occidentaux » qui se serait épanoui, un peu par hasard, dans un Orient inculte. Ces préjugés doivent beaucoup à ses premiers lecteurs, les orientalistes de la fin du XIXe siècle, ardents défenseurs de la mission civilisatrice de la France en Afrique du Nord. Eux qui considéraient l’opposition quasi métaphysique entre nomades et sédentaires, entre bédouins arabes et autochtones berbères, comme la variable déterminante de l’histoire tourmentée du Maghreb, ont voulu voir dans les écrits d’Ibn Khaldoun une caution intellectuelle à leurs thèses.
Le passage de l’Histoire des Berbères sur les invasions hilaliennes est à l’origine du « malentendu ». Dans ce texte, Ibn Khaldoun décrit les ravages provoqués par ces hordes bédouines aux murs barbares et grossières, lancées à l’assaut de l’Ifriqiya rebelle par les califes fatimides du Caire, en 1051-1052. Les tribus des Banou Hilal et des Banou Soulaym ont ravagé les oasis du Jérid tunisien, taillé en pièces les armées de l’émir ziride Al-Moez, pillé Kairouan et ruiné les campagnes du centre et de l’est de l’ancien grenier à blé de l’Empire romain. Assurément, elles ne sont pas étrangères à la décadence de sa civilisation. Mais n’en sont certainement pas la cause unique.
Complexe et dialectique, la pensée d’Ibn Khaldoun a trop souvent fait l’objet d’interprétations simplificatrices. Yves Lacoste, le géographe français auteur, en 1965, d’un magistral essai Ibn Khaldoun, naissance de l’Histoire, passé du Tiers Monde, a partiellement contribué à rétablir la vérité. Après les indépendances, les universitaires de Tunisie, d’Algérie et du Maroc se sont engouffrés dans la brèche et ont entamé un fécond mouvement de réappropriation de l’héritage d’un de leurs plus éminents génies
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