Villes : peut-on éviter le pire?

En 2007, plus de la moitié de la population mondiale aura déserté les zones rurales. Un défi qui demande des actions urgentes.

Publié le 6 novembre 2005 Lecture : 6 minutes.

Sous l’effet conjugué de la croissance démographique et de l’exode rural, l’expansion incontrôlée des villes dans le monde prend des allures de catastrophe. Les récentes émeutes survenues en France ramènent sur le devant de la scène les conséquences de décisions de construction de logements prises il y a plusieurs décennies. L’agitation a commencé le 28 octobre dernier à Clichy-sous-Bois, avant de s’étendre à plusieurs cités de la banlieue parisienne trois jours plus tard, révélant les problèmes liés à la concentration des populations dans des zones devenues déshéritées. Le futur n’est pas plus rose. Déjà, la pollution atmosphérique urbaine causerait chaque année plus de 800 000 décès dans le monde, estime l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Qu’en sera-t-il en 2030, quand le nombre d’habitants des villes, évalué actuellement à 3 milliards de personnes (48 % de la population mondiale), devrait atteindre 5 milliards, d’après les projections des Nations unies ? La plus grande partie de cette croissance est maintenant due à la fécondité naturelle plutôt qu’à la migration rurale, en ralentissement. Cette extension prend une telle ampleur que les mégalopoles – les centres urbains de plus de 10 millions d’habitants – se multiplient. À leur tête, on trouve le grand Tokyo, au Japon, qui réunit presque 35 millions d’habitants. Mais, dans les pays les plus pauvres, la démesure urbaine accroît la misère. Au Pérou, les deux tiers des 6,4 millions d’habitants de Lima vivent dans des bidonvilles sans eau courante ni réseau d’assainissement. En Inde, le nombre d’habitants de Mumbai (Bombay) est lui-même mal évalué. Entre 17 millions et 25 millions de personnes, suivant les estimations, dont 1,5 million dorment tous les soirs dans les rues…
Le modèle de la ville occidentale moderne, reproduit dans le monde entier, explique en partie les maux urbains actuels. Au XIXe siècle, en plein essor industriel, l’Europe est dominée par le souci d’une circulation simple et bien réglée, et organise les cités autour de leurs espaces publics. En France, le baron Haussmann taille de larges avenues dans Paris où il crée places et jardins. Les premiers gratte-ciel apparaissent à New York. Au début des années 1930 naît la « doctrine moderne », vision philosophique de l’urbanisme, marquée par l’efficacité industrielle. Elle est incarnée par l’architecte français d’origine suisse Le Corbusier, qui exalte le soleil, la verdure, l’espace, et prône la construction d’édifices en hauteur pour venir à bout de l’insalubrité des villes anciennes. Il veut transformer la ville en une succession d’immeubles posés sur des surfaces vertes. Les fonctions majeures (habiter, travailler, se détendre) correspondent à autant d’espaces séparés, reliés entre eux par des voies rapides, elles-mêmes intégrées dans l’architecture d’ensemble. Les nouveaux quartiers nés à la périphérie des grandes villes françaises après la Seconde Guerre mondiale sont l’expression de cette nouvelle idée urbaine. En vingt ans, environ 3,5 millions de logements y sont construits. Leurs premiers habitants sont enchantés. Venant souvent de taudis, ils y trouvent lumière, salle de bains et vide-ordures. Les autorités cherchant à chasser à la fois les germes de la tuberculose et ceux de la révolution, la nouvelle architecture évite les impasses, les recoins et les lieux d’intimité.
Cette massification des logements a rapidement révélé de nombreux défauts. Ils sont éloignés des centres de travail ou de loisirs, accentuant le sentiment d’isolement et aggravant les inconvénients d’une grande promiscuité. Les années 1970 voient s’initier un autre mouvement, qui achève de détruire les villes. La maison individuelle ronge à grande échelle les territoires. Plus chère à la construction et à l’entretien, elle est encore plus éloignée des centres d’activités, ce qui oblige à des déplacements automobiles polluants et dévoreurs de temps, et empêche toute politique rationnelle de transports en commun. Aux États-Unis, la moitié de la surface des villes est consacrée à la voiture, occupée par des routes, des garages et des parkings (jusqu’à 65 % à Los Angeles). La densité de population urbaine aux États-Unis est pratiquement la plus faible du monde. Mais avec 5 % de la population mondiale, les Américains se réservent 40 % de l’essence consommée dans le monde.
Vingt ans plus tard, les mécanismes de ségrégation urbaine engendrés par ces grandes cités apparaissent au grand jour. Une série d’émeutes, comme en 1990 à Vaulx-en-Velin, en banlieue de Lyon, ou en 1992 à Los Angeles, montrent qu’un fossé s’est creusé entre les communes riches et les plus pauvres. Ces dernières ont subi en Europe de plein fouet les effets du chômage et de la précarité, conduisant à la formation de ghettos, où les populations immigrées sont surreprésentées, comme à Grigny dans l’Essonne ou à La Courneuve en Seine-Saint-Denis, communes défavorisées de la région parisienne. Aux États-Unis, le centre des villes, souvent construit avec des immeubles en hauteur, s’est dépeuplé, abandonné aux plus pauvres. Et les riches ont investi de gigantesques banlieues pavillonnaires, les « White Suburbs ». Certaines mégalopoles s’en sortent mieux que d’autres. Au Canada, Toronto a vu sa population grimper de 600 000 habitants à 3 millions en quelques années. Alors que la moitié de la population est immigrée, la cohésion sociale s’est maintenue, sans création de ghettos.
L’Europe, avec le recul démographique et le ralentissement de l’immigration, connaît un tassement de la croissance de ses villes, qui se traduit par de nouveaux programmes de rénovation ou de reconstruction de l’existant. En revanche, les villes d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud continuent à subir soit une prolifération anarchique de bâtiments précaires et insalubres, du type bidonvilles ou favelas, soit des programmes de construction à marche forcée et à grande échelle, à l’exemple de Shanghai, en Chine. Cette dernière a changé d’échelle en une décennie, devenant une ville de plus de 12 millions d’habitants, auxquels il faut ajouter une population temporaire de 3 millions d’habitants, faite de marchands ambulants et d’ouvriers du bâtiment. En quinze ans, les autorités locales ont rasé les villages de la périphérie, construit 30 millions de mètres carrés pour reloger environ 400 000 familles et créé des voies de circulation à plusieurs étages…
Les croissances urbaines gérées à la hâte ont parfois des conséquences désastreuses en cas de catastrophe naturelle ou industrielle. Dernier exemple en date, les quartiers pauvres de La Nouvelle-Orléans, aux États-Unis, ont été dévastés par les inondations consécutives au passage de l’ouragan Katrina, le 29 août, alors que les zones huppées ou historiques ont été épargnées. Le risque vient aussi des sites industriels qui sont restés au centre des villes. Le cas le plus connu est celui de la ville de Seveso, en Italie, où en 1976 explose un réacteur chimique produisant des herbicides. Si aucun mort n’est à déplorer sur le coup, 37 000 personnes seront contaminées par la dioxine, provoquant des lésions cutanées et des troubles intestinaux, hépatiques ou cardiaques. Plus dramatique, l’usine de pesticides du groupe nord-américain Union Carbide, à Bhopal, en Inde, explose en 1984 causant la mort de 15 000 à 20 000 personnes, et en intoxiquant plus de 300 000 autres. Plus récemment : en septembre 2001, à Toulouse, l’explosion de l’usine d’engrais AZF, filiale de Total, a fait 31 morts et plus de 2 500 blessés. Son classement « Seveso », du nom de la directive européenne réglementant les usines à risques, élaborée à la suite de la catastrophe de 1976, n’a pas empêché la construction à Toulouse d’habitations et de bâtiments publics (écoles, hôpital, université) à proximité. Comme rien n’interdit d’habiter « route des hydrocarbures », à Dakar, au Sénégal, ni au voisinage des usines chimiques qui sont actuellement en activité au coeur de nombreuses autres villes africaines, dont Kinshasa, en RD Congo, ou encore Douala, au Cameroun…

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