Des bulletins et des bombes

Sur fond de massacres, la campagne pour les élections législatives du 15 décembre bat son plein. Revue des forces en présence.

Publié le 6 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

Près de 230 partis politiques regroupés en 21 coalitions brigueront le 15 décembre les 275 sièges de la future Assemblée nationale irakienne. Dernière étape du processus censé doter le pays d’un gouvernement légitime, le scrutin interviendra deux mois après l’adoption par référendum d’une Constitution controversée (bien qu’ayant obtenu 78 % de oui, le texte a été rejeté par deux des trois provinces sunnites). La commission électorale indépendante a rendu publique la liste des « entités politiques » retenues, esquissant ainsi la carte politique de l’Irak post-Saddam. Parmi elles, cinq seulement semblent en mesure d’obtenir un résultat au moins honorable : l’Alliance nationale irakienne, de l’ancien Premier ministre Iyad Allaoui (de confession chiite, mais laïc et pro-américain), l’Alliance du Congrès national, du trouble Ahmed Chalabi, l’Alliance pour le consensus irakien, qui regroupe les principales formations sunnites, mais, surtout, l’Alliance de l’Irak unifié, du chiite Abdelaziz al-Hakim, et l’Alliance kurde, de Jalal Talabani et Massoud Barzani. Ces deux dernières sont les grandes favorites du scrutin.
Mais pendant que les partis affûtent leurs armes électorales, les attentats à la voiture piégée et les bombardements de l’aviation américaine entretiennent un insupportable climat de violence. Selon un rapport du Pentagone dont la presse américaine s’est faite l’écho, soixante Irakiens en moyenne périssent chaque jour de mort violente. Mais cette violence n’est que le décor d’une pièce qui se joue le plus souvent dans les salons cossus de la Zone verte, siège de l’état-major des forces d’occupation et de l’administration irakienne. Trahisons, coups bas et alliances contre nature y sont légion. Quant aux sunnites, ils s’apprêtent à entrer en scène pour la première fois. Revue de détail.
La coalition emmenée par Abdelaziz al-Hakim, par ailleurs patron du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), compte dans ses rangs la plus ancienne formation d’opposition irakienne, le parti de la Da’wa, que dirige l’actuel Premier ministre Ibrahim Jaafari. Grand vainqueur du scrutin du 30 janvier dernier, l’Alliance de l’Irak unifié domine le Parlement de transition qui a rédigé la Constitution et représente la principale composante du gouvernement Jaafari. D’obédience chiite, comme 60 % de la population irakienne, elle semblait assurée d’un triomphe lors du scrutin du 15 décembre, mais l’usure du pouvoir a fait son oeuvre de manière très prématurée : de nombreuses personnalités s’en sont retirées pour créer leur propre liste. C’est notamment le cas de Chalabi, l’actuel vice-président, qui, estimant son parti insuffisamment représenté dans la liste d’union, a claqué la porte le 27 octobre, trois jours avant la clôture officielle du dépôt des candidatures. Mais aussi celui du ministre du Pétrole Ibrahim Bahr al-Ouloum, le fils du mollah imposé par Madeleine Albright à l’époque (la fin des années 1990) où le département d’État s’efforçait de susciter une opposition au régime de Saddam Hussein. Pour l’alliance chiite, cette défection présente toutefois plus d’avantages que d’inconvénients, le nom du ministre revenant avec insistance dans une affaire de détournement de plus de 2 milliards de dollars.
Pour Hakim, le vrai coup dur vient d’ailleurs. Précisément de Nadjaf, la ville sainte du chiisme, où se trouve, outre la tombe de l’imam Ali, gendre du Prophète, la résidence et les bureaux du grand ayatollah Ali Sistani. Guide spirituel de la communauté chiite, celui-ci, à l’inverse des précédents scrutins, s’est abstenu de lui apporter son soutien, parce que, explique son entourage, il juge sévèrement le bilan du gouvernement Jaafari en matière de sécurité et sa trop grande complaisance envers les forces d’occupation. Certains dignitaires religieux font le forcing pour tenter de lui arracher une fatwa de dernière minute en faveur de l’Alliance, mais rien n’est sûr.
En revanche, le jeune imam Moqtada Sadr, symbole de l’opposition radicale aux Américains (il se refuse à tout contact avec eux), a décidé de rallier la coalition. Il a obtenu sur la liste commune autant de candidats en position éligible (30) que le CSRII de Hakim et deux fois plus que la Da’wa de Jaafari.
Allaoui a pour sa part rompu avec la logique communautaire en faisant figurer sur sa liste les sunnites Ghazi al-Yaouer, actuel vice-président, et Adnan Pachachi, qui dirigea la diplomatie irakienne dans les années 1960. Misant sur la modernité, son Alliance nationale irakienne veut à tout prix empêcher la mise en place d’une république islamique, ambition affichée par l’Alliance chiite.
Quant aux Kurdes, ils sont plus que jamais en position d’arbitre. Leur communauté représentant près de 25 % du corps électoral, ils auront les moyens d’arracher aux chiites d’importantes concessions si ces derniers n’obtiennent, comme c’est probable, qu’une majorité relative.
Restent les sunnites. Après bien des hésitations, leurs deux formations les plus représentatives, le Parti islamique de Tarek al-Hachemi et le Comité des Oulémas d’Adnan Douleimi, se sont résolues à participer au scrutin. Il est vrai qu’en échange Zalmay Khalilzad, l’ambassadeur des États-Unis, leur a promis de les aider à obtenir rapidement une révision en leur faveur de la Constitution.
Les Irakiens sont convaincus que l’achèvement du processus politique est le meilleur moyen de hâter le retrait des forces étrangères et de faire reculer la violence. La campagne électorale promet donc d’être chaude. Sur tous les plans, hélas !

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