Berne, l’uranium et l’apartheid

Révélations sur les rapports coupables entre les deux pays.

Publié le 6 novembre 2005 Lecture : 2 minutes.

Les autorités suisses ont annoncé, le 2 novembre, le versement à leurs homologues nigérianes de la dernière tranche des avoirs de l’ancien dictateur Sani Abacha, bloqués depuis sa mort en juin 1998 dans les banques helvètes (460 millions de dollars au total). Berne tente ainsi de régler ses comptes avec son propre passé. Non sans douleur. Car, quelques jours plus tôt, la publication d’un rapport du Fonds national suisse pour la recherche scientifique (FNS) venait apporter de l’eau au moulin des détracteurs d’une Suisse sans scrupules. Le document indiquait la participation suisse à l’élaboration du programme nucléaire militaire de l’Afrique du Sud, dans les années 1970 et 1980.
L’étude, réalisée par Peter Hug, historien à l’Université de Berne, dévoile que les entreprises suisses ont fait fi de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies au pays de Mandela jusque dans les pires moments de la répression contre les Noirs, dans les années 1980. Deux compagnies, Gebrüder Sulzer AG et VAT Buchs, ont ainsi expédié à Pretoria des composants essentiels à l’enrichissement de l’uranium qui a permis de construire en secret les six bombes nucléaires sud-africaines. Une violation aggravée de l’embargo qui n’a pu échapper aux services secrets suisses. Preuves à l’appui, le rapport établit la connivence entre les renseignements suisses et sud-africains. De même qu’il montre l’appartenance d’hommes politiques suisses à des structures qui ont entretenu des rapports réguliers avec les Sud-Africains. Pis : à partir de 1977, les exportations d’armes suisses vers Pretoria ont augmenté, malgré le renforcement des sanctions onusiennes.
À une époque où la neutralité de la Suisse dans les relations diplomatiques internationales ne souffrait aucune exception, les leaders de droite (pour certains encore aujourd’hui au pouvoir) justifiaient le maintien de leur collaboration avec des pays sous embargo par la nécessité de garantir aux entreprises une certaine liberté de manoeuvre. Il s’agissait pour celles-ci de profiter du vide créé par les sanctions pour faire du business. Alors que les dirigeants conservateurs ne voyaient pas d’un mauvais oeil le combat de Pretoria contre les leaders noirs du Congrès national africain (ANC), qui formaient selon Berne – obnubilé par le péril rouge – un bastion communiste. La défense du libéralisme économique comptait alors bien plus que celle des droits de l’homme.
La rhétorique a pris fin en 1990, quand la Suisse a accepté de respecter l’embargo contre l’Irak de Saddam Hussein. Mais aujourd’hui encore, le gouvernement a du mal à assumer le passé du pays. En témoignent les difficultés qu’a rencontrées Peter Hug pour accéder aux documents classifiés.

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