Senghor reconnaît le parti de Wade

Publié le 6 août 2006 Lecture : 3 minutes.

Quand, le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade l’emporte au second tour de la présidentielle contre le chef de l’État sortant, Abdou Diouf, cela fait plus d’un quart de siècle qu’il guerroie contre « l’État socialiste ». Tout commence en juillet 1974, au sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) à Mogadiscio, lorsque Wade rencontre le président Léopold Sédar Senghor et lui exprime son souhait de créer un parti. Le chef de l’État lui donne son accord : rien ne s’y oppose dans la Constitution. Le 31 juillet, Wade fonde le Parti démocratique sénégalais et, une semaine plus tard, le 8 août, Senghor tient parole en reconnaissant la nouvelle formation.
Avant l’indépendance, le Sénégal se distinguait par une vie politique animée et l’existence de nombreux partis politiques. Après 1960, ceux-ci disparaîtront les uns après les autres, en général absorbés par la formation au pouvoir, l’Union progressiste sénégalaise de Senghor. Ainsi, à partir de 1966, année où le dernier parti d’opposition, le PRA (Parti du regroupement africain), intègre l’UPS, le Sénégal vit dans un régime de parti unique de fait.

La situation ne satisfait pas pour autant Senghor. Faute d’opposition, les joutes politiciennes ont été transférées au sein de l’UPS. Le grand parti de réflexion idéologique dont il rêvait est miné par les luttes d’influence et les querelles de clans. Il doit sans cesse arbitrer entre l’un ou l’autre des barons. Il souhaite en outre faire entrer l’UPS au sein de l’Internationale socialiste : celle-ci exige de ses membres, s’ils sont au pouvoir, qu’ils garantissent le multipartisme.
C’est pourquoi l’initiative que prend Wade en 1974 l’arrange. D’autant que le parcours de cet avocat de 47 ans ne semble guère le prédisposer à une opposition radicale. Ancien militant du PRA, il s’était rapproché de l’UPS, espérant devenir sous ses couleurs l’homme fort de Kébémer, sa ville natale. Ce n’est qu’après avoir échoué à se faire une place au sein de la formation présidentielle qu’il s’est résolu à créer la sienne. Sur le plan idéologique, rien ne le distingue vraiment du président, qui croit alors qu’un poste ministériel devrait suffire à satisfaire ses ambitions.
Ainsi donc, à la fin de 1974 – le ministère de l’Intérieur entérina la création du PDS le 8 décembre -, le parti de Senghor n’est plus le seul sur l’échiquier. Pour l’heure, on ne parle que d’ouverture démocratique. Il faudra attendre 1976 pour voir se mettre en uvre ce qu’on appelle alors le « multipartisme limité ». Le 19 mars, une révision constitutionnelle instaure le tripartisme. Les formations autorisées devront inscrire leur action dans l’un des trois courants de pensée définis par la loi : libéral, socialiste, marxiste-léniniste. L’UPS s’étant transformé en Parti socialiste, Wade, qui est tout sauf marxiste, est obligé d’adopter l’étiquette libérale.

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Alors que tout le monde attendait la reconnaissance officielle du Rassemblement national démocratique (RND) de l’historien Cheikh Anta Diop, figure majeure de la gauche sénégalaise, c’est le Parti africain de l’indépendance (PAI) de Mahjemout Diop, pharmacien de profession, qui est autorisé à voir le jour sous le label de marxiste-léniniste.
En 1978, Senghor, estimant nécessaire que le courant conservateur qu’il a cru identifier au sein de l’opinion puisse lui aussi s’exprimer, une nouvelle révision constitutionnelle ouvre la voie à la création d’un quatrième parti : ce sera le Mouvement républicain sénégalais de l’avocat Boubacar Guèye.
Même s’il faudra attendre l’accession à la tête de l’État d’Abdou Diouf, à la suite de la démission de Senghor, en décembre 1980, pour que le Sénégal se convertisse au « multipartisme total » – par le biais de la loi constitutionnelle du 6 mai 1981 -, la vie politique retrouve toute sa vigueur dès 1978. Les élections générales se déroulent dans un climat passionné. Avec 17,74 % des suffrages aux législatives, le PDS conquiert 18 sièges (l’UPS en conserve 82) à l’Assemblée nationale. À la présidentielle, Abdoulaye Wade obtient 16,32 % des voix, contre 83,68 % au président Senghor. La bataille pour le sopi (« changement » en wolof) ne fait que commencer. Elle sera longue et semée d’embûches – Wade connaîtra la prison à plusieurs reprises. Mais, comme dans les contes africains, « Ndiombor » (« le lièvre »), ainsi que l’avait surnommé Senghor, aura le dernier mot de l’histoire.

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