La puissance et le désarroi

Publié le 6 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Alors qu’on entame la quatrième semaine de guerre, Ehoud Olmert, le Premier ministre israélien, est formel : 100 % des capacités opérationnelles du Hezbollah sont détruites. « Plus jamais » la milice chiite ne pourra menacer les populations. Le lendemain, une pluie de missiles s’abat sur les villes du Nord : 230 ou 300, selon les sources. Les certitudes d’Olmert ne sont pas entamées pour autant : « Jamais dans l’histoire contemporaine un combat contre une organisation terroriste n’aura été aussi efficace que le nôtre. »
L’efficacité en question, c’est surtout la population libanaise qui en fait les frais. Le massacre de Qana n’est pas une bavure. C’est une stratégie. Au total, sur les 900 Libanais morts sous les décombres, 300 n’ont pas 12 ans. L’objectif de cette stratégie ne fait pas mystère : casser le Liban pour casser le Hezbollah. Mais une chose est de vider le Sud de sa population, une autre de le contrôler. Il faut donc y aller. L’indispensable opération terrestre mobilise au bas mot 15 000 hommes. Mais la prise de Bint Jbeil tourne au fiasco. Huit morts. Pertes limitées et insupportables. Les Israéliens sont comme les Américains, ils veulent bien tuer, mais ils n’aiment pas mourir.

Après un mois d’affrontements, ils ont dû réviser leurs objectifs à la baisse. Il n’est plus question de désarmer le Hezbollah mais seulement de l’éloigner de leur frontière. Ils n’ont pas l’intention de contrôler eux-mêmes le Sud mais seulement de préparer le terrain pour une force internationale de stabilisation – au demeurant très problématique. Mais tout cessez-le-feu équivaut pour le moment à une défaite – et à une victoire du Hezbollah. Insupportable. On prend donc le temps de redresser une situation compromise. Les Américains font le nécessaire sur le plan diplomatique pendant qu’on « finit le travail ». Une semaine, deux semaines, davantage, il faut coûte que coûte obtenir des résultats réels ou à tout le moins symboliques.
Visiblement, les Israéliens ont joué leur va-tout avec l’opération commando sur Baalbek dans la nuit du 2 août. Objectif : enlever un commandant régional du Hezbollah, sinon son chef lui-même, Hassan Nasrallah. Opération militaire doublée d’une opération de com’. On a mobilisé des unités spéciales et des techniciens de l’image. Le coup spectaculaire devait frapper les esprits et faire oublier les humiliantes déconvenues à répétition. Olmert est sûr de son affaire. Voici ce qu’il confie au Monde pendant qu’on met la dernière main à l’opération : « Si le Hezbollah pense qu’il y a des endroits où nous n’irons pas, il a tort. Nous sommes en mesure de le prendre par surprise, le stupéfier, le frapper durement. » Le raid est un succès : 10 tués chez l’ennemi et aucune perte de Tsahal. Cinq prisonniers. Parmi eux : Hassan Nasrallah, qui jouait aux cartes. Mais ce n’est pas le bon. Encore un piège, tendu cette fois par l’homonymie. Les services israéliens ne sont plus ce qu’ils étaient. Tout fout le camp.
Reste la fuite en avant. Israël menace de frapper Beyrouth. Nasrallah réplique aussitôt : ce sera Tel-Aviv. Le même jour (3 août) : 100 roquettes sur le nord d’Israël en une demi-heure et 8 morts civils.
Israël peut-il encore modifier le cours des événements ? Peut-être. Mais jusqu’à présent, chaque jour qui passe montre les limites de la toute-puissance. Au sein de l’opinion, le consensus reste de mise, mais le doute et le désarroi sont perceptibles. Dans la presse, on critique sévèrement la conduite de la guerre, et on estime que le gouvernement n’est pas à la hauteur.

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Toutes les guerres favorisent l’émergence d’hommes symboles, de personnages héroïques ou simplement pittoresques. À coup sûr, Amir Peretz, le ministre de la Défense, qui n’a rien d’un héros, restera dans les annales de la sixième guerre israélo-arabe. Il incarne par anticipation le désarroi qui gagne le pays. Marocain (il est de Bejaad), syndicaliste, militant de la paix, il s’est fourvoyé dans un ministère traditionnellement dirigé par des hommes d’expérience. Au départ, il a essayé de surmonter les inconvénients du contre-emploi par des excès de langage. Le matamore prenait les accents de Ahmed Choukaïri, le leader palestinien qui voulait « jeter les Juifs à la mer ». Le ministre ne doute pas qu’il « cassera le Hezbollah » et « que Nasrallah n’oubliera jamais Amir Peretz ». Par la suite, perdant l’appétit et le sommeil, selon ses collaborateurs, « il est sur le point de craquer ». Aux dernières nouvelles, il commence à s’y mettre, mais il « est prêt à rejoindre à tout moment le ministère des Finances ».
Au-delà des états d’âme de Peretz et du désarroi de la société israélienne, c’est la doctrine de la dissuasion de l’État juif qui est en cause. Depuis la seconde Intifada, Israël s’est doté d’une stratégie fondée sur la force et rien que la force. Contre les actions de la résistance, il a choisi de multiplier à titre dissuasif les représailles collectives. Dans les territoires palestiniens, Tsahal a réussi à porter des coups durs à la résistance. Au Liban, avec le Hezbollah, ça ne marche pas.
Les Israéliens ont appelé leur dernière opération « Changement de cap ». Ils feraient bien de s’en inspirer pour changer une stratégie qui a montré ses limites et, par la même occasion, leur comportement avec leurs voisins.

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