Miss Jojo, la nouvelle voix du Rwanda
À 24 ans, la jeune artiste a déjà conquis le public de son pays. Plus encore que les mélodies, ce sont les textes qui font la force de ses chansons.
Un foulard retient des tresses, genre locks, qui s’arrêtent au niveau de la nuque. À chaque oreille, deux grandes boucles rondes. Au cou, un collier torsadé orné de perles claires. Elle porte une chemisette en jeans et un pantalon du même tissu un peu effiloché. Ses pieds se cachent dans des sandales montantes, également en jeans. Sur le dos trône un petit sac noir. Ses yeux franchissent la barrière de petites lunettes fermement posées sur le nez, puis vous scrutent. Ainsi apparaît près d’un marché de Butare, deuxième ville du Rwanda, au Sud, Josiane Uwineza, dite Miss Jojo (elle préfère écrire Ms), 24 ans, jeune femme branchée. En trompe l’il, un corps fragile. Attention : elle est ceinture noire premier dan en karaté !
Depuis 2006, la voix de Miss Jojo résonne fort au Rwanda. Cette étudiante en dernière année d’anglais à l’Université nationale du Rwanda, à Butare, à 133 km de Kigali, chante la vie en anglais, en français, en swahili et en kinyarwanda. En quelques mois, elle a sorti quatre singles, dont Ngira, le tout premier, une tendre histoire d’amour. Ses chansons ont envahi les radios locales, font recette dans toutes les fêtes et provoquent des débats passionnés. Miss Jojo est, en effet, une chanteuse engagée. Elle ne s’est pourtant produite que quatre fois sur scène depuis ses débuts. « Mon moment de gloire, avoue-t-elle, c’était le 16 décembre 2006, à l’occasion d’un concert organisé par une entreprise de téléphonie mobile au stade de Kigali. Tous les grands noms de la musique rwandaise étaient là. J’étais la seule femme. Inoubliable ! »
À l’école secondaire, elle chantait déjà dans une chorale. Mais il ne lui était jamais venu à l’esprit de sauter le pas. Après moult hésitations, les encouragements des uns et des autres, convaincus de la beauté du timbre de sa voix, elle finit par se laisser tenter. « Quand j’ai commencé à chanter, les gens ont été ravis, dit-elle. Cela m’a encouragée. Maintenant, je veux combattre les préjugés et prouver qu’une femme peut chanter et réaliser des choses positives. Souvent, on croit que les chanteuses ont la tête en l’air et ne font rien de sérieux. » L’univers musical de Miss Jojo est éclectique : il va du gospel au blues, du hip-hop au rhythm and blues, de la musique rwandaise au dance roll Et comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle compte parmi ?ses idoles la chanteuse africaine-américaine Aaliyah Haughton, morte en 2001 à l’âge de 22 ans. La nouvelle voix du Rwanda vise, en fin de compte, « un juste milieu entre les rythmes venus d’ailleurs et la musique rwandaise, quelque chose dans lequel tout le monde se retrouve ».
L’objectif de Miss Jojo est de marquer les esprits. Ainsi, l’une de ses chansons, « Respect », est un cri de révolte contre une certaine condition féminine. Elle argumente : « Il y a des filles qui ne vont pas à l’école parce qu’elles sont des filles, des femmes battues parce que ce sont des femmes Moi je veux qu’on respecte la femme en tant qu’être humain. Et non pas seulement quand elle occupe des fonctions politiques. » Très engagée, la jeune chanteuse a également consacré une chanson au Darfour, cette région de l’est du Soudan où a lieu ce que d’aucuns qualifient de génocide depuis bientôt quatre ans. Elle veut voir le monde bouger. « Sinon, prévient-elle, ce sera comme au Rwanda en 1994. Je n’aimerais pas toujours chanter des choses douloureuses. »
Une fois ses études terminées, Miss Jojo va-t-elle se consacrer entièrement à la musique ? Elle n’écarte aucune possibilité. Mais elle mesure déjà l’ampleur des difficultés dans un pays où, dit-elle, trouver un producteur digne de ce nom relève de l’exploit. Elle sait aussi que certaines personnes qui la prenaient pour « une fille comme il faut » sont désolées de la voir chanter. Des considérations qui ne la troublent pas outre mesure. Convaincue que « vivre de la musique c’est tout un combat », elle compte sur des rencontres, des ouvertures, pour percer. Priorité des priorités pour Miss Jojo : sortir son premier album ou, à défaut, des clips. Sa foi en son étoile reste intacte : « Quelque chose m’attend. Je dois beaucoup bosser et, surtout, garder les pieds sur terre. » Comme son idole Myriam Makeba, elle veut « imposer l’Afrique au monde entier. »
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