Leadership non mérité

Publié le 6 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

« Le Nigeria est-il l’Afrique ? Ses piètres résultats économiques et sa caricature de démocratie font-ils craindre le pire ? À ces deux questions, la réponse est non. Le Nigeria n’est pas l’Afrique : depuis une dizaine d’années, le reste du continent a dans l’ensemble fait quelques pas modestes, tardifs, mais encourageants, vers davantage de prospérité, de sécurité et de démocratie.
Il reste assurément un long chemin à parcourir. Ce qu’on reproche au Nigeria l’élection présidentielle truquée, la corruption et la mauvaise gestion se retrouve dans d’autres parties de l’Afrique. Le bilan postcolonial du continent est jusqu’ici un fiasco colossal. Le revenu par tête dans les quarante-huit pays de l’Afrique subsaharienne s’est accru en moyenne de 25 % entre 1960 et 2006, alors qu’il a progressé trente-quatre fois plus vite en Asie de l’Est. Des pays comme la Corée du Sud et la Malaisie étaient au départ aussi pauvres que le Ghana et le Kenya. L’excuse du colonialisme n’est plus valable depuis au moins une génération et les Africains le savent.

C’est seulement en 1991 que, pour la première fois depuis l’indépendance, le président d’un pays africain (à l’exception de l’île Maurice, dans l’océan Indien) a été battu dans une élection et a renoncé au pouvoir : c’était au Bénin, pour être précis. Depuis lors, de nombreux pays africains ont suivi cet exemple. Les élections pluralistes, bien qu’elles soient souvent sujettes à caution, sont beaucoup plus fréquentes. Pour la troisième année consécutive, le taux de croissance des pays de l’Afrique subsaharienne a progressé en moyenne de 6 % et peut bientôt atteindre les 7 % jugés nécessaires par l’ONU pour pouvoir réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2015. Certes, ce résultat a été obtenu grâce au prix élevé du pétrole et d’autres matières premières. Mais les pays africains qui n’ont pas de pétrole affichent des taux de croissance comparables. De tels chiffres sont modestes à côté de ceux de l’Asie. Mais ils vont dans le bon sens et ils y vont vite. »
C’est notre confrère The Economist de Londres qui a émis ce jugement dans un éditorial à tonalité plutôt positive, publié la semaine dernière.

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Des cinq continents, l’Afrique est, hélas, sans contestation possible, celui dont les progrès ont été les plus lents au cours du dernier demi-siècle, en économie comme en politique. L’Afrique du Sud, Maurice et les trois pays du Maghreb central sont l’exception : moyennement industrialisés, dotés d’infrastructures bien entretenues, de systèmes éducatifs et de santé dignes de ce nom, ils se détachent du reste de l’Afrique et flirtent avec la modernité.
La plupart des autres, qui représentent 800 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, ne vivent, ne subsistent, que de l’agriculture et de l’exploitation (par l’étranger) de leur sous-sol : la pauvreté n’y recule guère, ni l’analphabétisme (lire « Indicateurs », p. 86).
Quand elles existent, leurs infrastructures ne sont pas convenablement entretenues ; leurs logements, leurs écoles et leurs hôpitaux ne sont pas de ce siècle, ni même parfois du précédent : dans certains pays, les plus malheureux, la population ne dispose même pas ou plus de l’électricité
Cause ou effet de cette situation : dans beaucoup trop de ces pays qui ont cessé de progresser, peu de personnes peuvent compter sur un revenu régulier et
la plupart ne bénéficient plus de ces biens précieux que sont la paix et la sécurité.

Des sociologues, des politologues, des économistes et autres « experts » ou supposés tels se sont penchés sur « le mal africain » sans parvenir à un diagnostic : pourquoi l’Afrique est-elle dans la « mouise » ? Quelle est la part de responsabilité des Africains et celle de ce qui leur a été ou leur est encore imposé de l’extérieur ? Que leur faut-il faire (ou obtenir de l’extérieur) pour s’en sortir ?
Je voudrais hasarder ici une comparaison avec l’Asie et attirer votre attention sur une des différences les plus criantes : alors que les deux géants démographiques du continent asiatique, la Chine et l’Inde, donnent aux petits pays d’Asie le bon exemple et leur servent de locomotives, leurs homologues africains, le Nigeria et l’Égypte grands par la démographie et héritiers d’anciennes civilisations eux aussi se contentent de prétendre au leadership du continent, sans chercher à le mériter.
Ils font même tout le contraire : sur le plan politique, l’Égypte et le Nigeria donnent à l’Afrique et aux Africains mauvaise réputation ; pour ce qui concerne l’économie, ils tirent le continent vers le bas.

Il y a peu encore, l’Asie était, elle aussi, sauf rares enclaves misérable, démoralisée et humiliée. Elle a redressé la tête, a recommencé à compter lorsque ses deux grands, la Chine d’abord, l’Inde ensuite, ont retrouvé le chemin du progrès et, d’une certaine manière, « montré la route » au reste du continent.
Nous faut-il attendre que le Nigeria et l’Égypte se réveillent pour espérer les voir tirer l’ensemble du continent vers le haut, et le faire émerger de son actuelle torpeur ? Ou bien, constatant qu’il n’y a rien à attendre de ces deux pays, nous faut-il miser sur d’autres locomotives ?
Mon opinion est qu’il n’y a ni en Égypte ni au Nigeria le moindre levain d’une prochaine renaissance. Le salut africain ne viendra donc pas de ses géants démographiques (voir pp. 50-51).
Reste un espoir qui a pour nom : l’Afrique du Sud

Je voudrais passer maintenant à une autre comparaison entre, d’une part, un Égyptien et un Nigérian et, d’autre part, deux hommes de pouvoir qui sont, eux, en ce moment, sous les feux de l’actualité : Paul Wolfowitz, président de la Banque mondiale, et Ehoud Olmert, Premier ministre d’Israël.
Hosni Moubarak, général, devenu président de l’Égypte il y a un quart de siècle, a déclaré l’an dernier qu’il ne voulait pas quitter cette agréable fonction et qu’il mourra au pouvoir ; Olusegun Obasanjo, ex-général lui aussi, a voulu suivre l’exemple de l’Égyptien et demeurer à la tête du Nigeria, mais n’y est pas parvenu : il a été contraint de quitter le pouvoir, mais a réussi à y installer un homme dont il pense qu’il lui obéira.

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Wolfowitz et Olmert ont été convaincus, eux, presque simultanément, d’incompétence : leur première épreuve a montré à qui voulait bien voir qu’ils n’avaient pas le savoir-faire requis. On leur a donc dit sur tous les tons qu’ils avaient perdu la confiance des gens et qu’il leur fallait abandonner leur charge, sans délai.
L’un et l’autre ont refusé avec pour seul argument celui-là même utilisé par Moubarak et Obasanjo : j’y suis et ça me convient, donc je reste.

Ce faisant, Wolfowitz et Olmert se comportent mal, comme le font encore, au XXIe siècle, trop de chefs d’État africains. Mais ils n’ont aucune chance, eux, de réussir à rester à leur poste plus de quelques semaines, car face à leur pouvoir, même s’il est grand, il y a les contre-pouvoirs que génère toute démocratie.
Ils finissent toujours, ces contre-pouvoirs, par venir à bout des « abus de position dominante » et faire en sorte que les équilibres démocratiques se remettent en place.

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