Course à la taille critique

Deux groupes soutenus par des actionnaires locaux partent à la conquête de nouveaux territoires, au-delà de la zone franc.

Publié le 6 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Les banques ouest-africaines nourrissent une ambition que les experts n’auraient pas imaginée il y a une dizaine d’années : se déployer sur l’ensemble du continent. Un objectif partagé par un nombre croissant d’acteurs, qu’ils soient nigérians (lire « Ça vous intéresse » p. 98) ou issus de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). En quelques années, ces établissements ont développé une stratégie comparable : renforcer leurs capitaux propres afin de financer des acquisitions, ouvrir leur capital à des investisseurs financiers ou des actionnaires de référence, moderniser leur gestion et leur management. Clairement, c’est Ecobank, l’établissement créé au Togo il y a désormais une vingtaine d’années, qui a mené la danse. En 2005, à la suite d’une augmentation de capital réussie et qui attira plusieurs investisseurs internationaux, le groupe parvient à faire passer ses capitaux propres de 127 millions de dollars à 221,5 millions de dollars. L’année qui suit, l’institution complète l’opération en levant une centaine de millions de dollars supplémentaires et en entrant sur trois Bourses régionales, au Nigeria, au Ghana et sur la Bourse de l’UEMOA, la BRVM d’Abidjan. En 2007, l’objectif est le même : atteindre un niveau de capitalisation en adéquation avec les ambitions d’Ecobank et les risques associés à son activité. Du coup, le groupe a annoncé fin janvier 2007 sa volonté de lever 300 millions de dollars supplémentaires. À terme, il souhaite atteindre un capital de 1,2 milliard d’euros, ce qui le placerait alors parmi les toutes premières banques africaines. De son côté, le groupe Bank of Africa (BOA), l’autre grande institution régionale, née en 1982, avait pris du retard. Réticent à l’idée de laisser de purs investisseurs financiers entrer dans son capital, il avait souffert du rapprochement avorté avec le belgo-néerlandais Belgolaise – aujourd’hui démantelé. On savait la BOA, depuis, à la recherche d’un partenaire bancaire, nécessaire à la consolidation de ses fonds propres, nettement insuffisant, puisqu’ils dépassaient à peine les 100 millions d’euros. Depuis le 16 mars dernier, tout a changé. L’entrée annoncée de BMCE Bank, troisième banque marocaine, à hauteur de 35 % au capital d’African Financial Holding (AFH), l’actionnaire de référence du Groupe BOA, devrait entraîner une forte hausse des fonds propres. Le montant de l’opération reste inconnu et ne sera révélé qu’une fois que les assemblées générales des deux banques et les autorités de tutelle concernées auront validé l’entrée de la BMCE au capital de AFH. Derrière cet accord, une logique claire : celle de la modernisation d’un groupe devenu très important, mais dont le succès dépendait largement des talents de son fondateur, Paul Derreumaux : « Lorsque vous vous développez, vous avez besoin d’une nouvelle organisation, souligne Ben Zwinkels, Senior Investment Officer au FMO, principal actionnaire de AFH. Nous voulons créer un groupe solide qui ne dépende pas d’une personne. Nous voulons devenir une vraie banque africaine. »
Pour BOA comme pour Ecobank, l’enjeu est désormais de changer de dimension, de passer du statut de banque régionale à celui de banque « panafricaine », présente dans tous les pays du sud du Sahara. Pour y parvenir, toutes deux pourront compter sur leur capacité à dégager rapidement des bénéfices et à les faire croître régulièrement. En 2006, le produit net bancaire d’Ecobank a encore augmenté de 47 %, à 348 millions de dollars, et son bénéfice net de 69,6 %, à 86 millions de dollars. Le résultat net du Groupe BOA s’est établi pour la même année à 28,6 millions de dollars, en hausse de près de 80 % sur un an. De quoi aider au financement de leurs développements africains : en 2006, Ecobank a acquis les dépôts de la clientèle et le réseau des agences de All States Trust Bank au Nigeria. Le groupe a également pris le contrôle de la banque tchadienne Biat et de la centrafricaine Bica. Il a par ailleurs ouvert de nouvelles filiales, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau, et obtenu l’agrément pour ouvrir une filiale à São Tomé e Príncipe. La BOA, qui est en revanche toujours absente du Nigeria, a poursuivi son développement en Afrique de l’Est, avec l’intégration de l’ougandaise Allied Bank, rachetée à la Belgolaise, et bientôt, l’acquisition de la banque tanzanienne Eurafrican Bank et l’ouverture d’une BOA à Maurice. Au final, Ecobank est désormais présent dans 18 pays quand BOA en annonce la moitié. Entre les deux, la course est lancée. Face à eux, ils devront peut-être compter sur de nouveaux et puissants concurrents : les banques nigérianes. Au gré des rapprochements suscités par les trois dernières années de modernisation, le secteur a vu la naissance de quelques mastodontes, dont United Bank for Africa. L’UBA Group – son nouveau nom depuis la fusion avec une autre banque nigériane, la Standard Trust Bank – affiche désormais un total de bilan de plus de 8 milliards de dollars, deux fois supérieur à celui d’Ecobank ! Certes, et eu égard à la taille de la population nigériane, ces banques restent concentrées sur leur développement national. Mais UBA Group compte déjà une présence au Ghana et ne fait plus mystère de ses intentions panafricaines…
L’Afrique étant pour les banques européennes et américaines un continent peu stratégique, du fait de la petite taille des établissements, rares sont désormais les institutions internationales à miser au maximum sur le continent. « Les banques internationales ont tendance à se retirer, souligne Vincent Le Guennou, vice-président de EMP Africa, l’un des principaux groupes de capital investissement du continent. Je crois de plus en plus aux partenariats Sud-Sud. » Surtout, l’optique pourrait avoir changé : si les banques internationales restent très présentes sur les grandes privatisations bancaires, les partenariats avec des établissements financiers africains – via des prises de participation – pourraient se développer. Le partenariat entre le sud-africain Absa et le britannique Barclays en fut un signe. Le rapprochement entre la BMCE et la BOA en est un autre. Ecobank, lui, a souhaité jusqu’à aujourd’hui consolider son capital sans s’adosser à un autre groupe bancaire. La montée récente à son capital du groupe financier russe, Renaissance Capital (lire l’encadré p. 98) – qui en détient aujourd’hui près de 25 % – est la preuve de l’immense intérêt que l’institution présente auprès des investisseurs internationaux. Où s’arrêtera-t-il ? Les groupes régionaux ont le vent en poupe. D’où l’émergence en Afrique de l’Est ou de l’Ouest de nouveaux acteurs, tels que la Banque Atlantique, lancée fin 2005 par le groupe ivoirien Atlantique. « Je suis convaincu qu’il y aura à l’avenir d’autres créations de ce genre, à l’image de ce que notre Groupe observe par exemple en Afrique de l’Est où il est présent », souligne Paul Derreumaux, président de la BOA, et l’un des meilleurs connaisseurs des banques régionales.

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