Algérie : c’est le dégel entre patronat et gouvernement
Entre les chefs d’entreprise et l’équipe Sellal, le dialogue s’installe. Si les mesures du Premier ministre sont trop récentes pour être évaluées, les hommes d’affaires se sentent enfin écoutés.
À défaut de relancer l’économie, le gouvernement d’Abdelmalek Sellal a réussi, en cent jours, à redonner un peu d’espoir aux patrons algériens. Depuis sa nomination le 3 septembre dernier, le nouveau Premier ministre multiplie les gestes d’apaisement en direction des chefs d’entreprise. « Dites-moi où ça cale pour qu’on puisse rétablir les choses rapidement », leur a-t-il lancé le 22 novembre 2012 lors de la réunion tripartite entre gouvernement, patronat et syndicats. Sans prendre de grandes décisions, Sellal a gagné la sympathie des patrons. « Les mesures prises ces trois derniers mois sont très encourageantes. D’une manière générale, elles participent à la création d’un climat plus serein, plus apaisé, qui nous conduit vers une confiance retrouvée, et c’est le plus important », affirme Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprise (FCE).
Parmi les mesures qui ont séduit le patronat figurent notamment l’instauration d’un dialogue permanent, le lancement d’une opération de lutte contre l’économie parallèle et les promesses de relancer l’industrie locale, qui, d’après le FCE, représente moins de 4 % du PIB du pays. « En très peu de temps, nous avons participé à beaucoup de rencontres avec les autorités, surtout avec le ministre de l’Industrie [Cherif Rahmani, NDLR] et avec le Premier ministre. Cette politique de dialogue et de concertation souligne une rupture positive par rapport à la culture précédente », se félicite Hamiani, qui rappelle que l’instauration d’un échange permanent entre patronat et gouvernement est l’une des cinquante propositions du FCE – annoncées en mars 2012 – pour doter le pays d’une nouvelle économie, moins dépendante des hydrocarbures. « Le gouvernement a répondu favorablement à cette proposition n° 49. Maintenant, nous sommes écoutés et invités à donner notre avis », se réjouit le patron des patrons.
La nouvelle politique gouvernementale visant à réhabiliter l’industrie locale, en grave crise, et à limiter les importations est bien accueillie par le FCE. « Nous sommes en phase avec les autorités en ce qui concerne la limitation des importations et leur substitution par la production locale », ajoute Hamiani, qui précise que le gouvernement a répondu favorablement à d’autres idées, en citant la possibilité d’obtenir des financements bancaires à long terme (n° 29), la création de zones industrielles, notamment en bordure de l’autoroute est-ouest (n° 9), qui relie Tlemcen (extrême ouest) à El-Tarf (extrême est) sur 1 200 km en passant par Alger, et aussi le démarrage du programme de mise à niveau des entreprises, financé par l’État.
Le FCE applaudit également le lancement fin 2012 d’une vaste action de la police contre la vente de produits sur les trottoirs dans les villes. « Cette opération a certes un côté spectaculaire, avec l’interdiction de vendre sur les trottoirs, mais il y a aussi, de façon plus constructive, la multiplication des marchés de gros [proposition n° 23], et la mise en place d’une fiscalité de nature à encourager les opérateurs actifs dans le commerce informel à travailler dans la légalité », précise le président du Forum.
Autre mesure réclamée par le patronat et satisfaite par Sellal : l’obligation faite aux banques depuis cette année de répondre aux demandes de crédits des PME dans un délai maximal de 45 jours. « L’amélioration des services publics, avec la simplification des procédures, constitue un point de convergence avec les autorités. L’introduction de deadlines [« dates limites », mesure n° 46], que nous avions proposée, est déjà appliquée par les banques », explique Hamiani, qui réclame la généralisation de cette mesure aux autres administrations.
Sur le terrain
Le patronat a également obtenu satisfaction sur le rétablissement du crédit à la consommation pour les biens produits localement. Hamiani reconnaît toutefois que les 50 propositions de son organisation sont « loin d’être prises en compte totalement ». « Notre grand problème est la traduction sur le terrain des décisions prises. Nous ne pouvons pas en juger maintenant. Nous allons attendre les prochains mois pour la vérifier », avertit-il.
Outre l’application de ses premières mesures, le gouvernement Sellal est attendu sur les autres revendications importantes des patrons, notamment la suppression de l’obligation d’obtenir l’accord du Conseil national de l’investissement (CNI) pour lancer des investissements supérieurs à 1,5 milliard de dinars (14,5 millions d’euros), et la révision de la règle 49 %-51 %, qui impose que les intérêts algériens soient majoritaires dans tout projet impliquant des étrangers.
À un peu plus d’une année de la présidentielle de 2014, Abdelmalek Sellal risque de ne pas avoir suffisamment de temps pour lancer de véritables réformes économiques pour sortir le pays de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures (98 % des recettes en devises). En dépit de ses moyens financiers colossaux (200 milliards de dollars de réserves de change), l’économie algérienne tourne au ralenti et vit essentiellement grâce à la dépense publique. Pour 2012, le Fonds monétaire international (FMI) a établi le taux de croissance à 2,6 % et l’inflation à 8,4 %.
Questions à Slim Othmani, président du conseil d’administration de NCA Rouiba
Le président du conseil d’administration de NCA Rouiba (la Nouvelle Conserverie algérienne), spécialisée dans l’agroalimentaire, et du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care), est déterminé à faire prendre un nouveau cap à son pays.
Jeune Afrique : Comment jugeriez-vous l’action économique du gouvernement Sellal ?
Slim Othmani : La communauté des affaires a bien noté cette volonté d’écoute et cette disponibilité qui caractérisent le style du nouvel exécutif. De là à parler d’efficacité, ce serait aller trop vite en besogne tant la pente à remonter est abrupte. La véritable question est de savoir jusqu’où peut aller le gouvernement Sellal dans la mise en oeuvre de toutes les réformes nécessaires à la survie de l’Algérie. Oui ! Vous avez bien lu « survie ». Car comme le groupe Nabni [« construire », NDLR] l’a si bien démontré, l’Algérie est exactement dans la situation du Titanic auquel on demande de changer de cap car un iceberg se trouve sur sa route. À ce jour, le changement de cap ne s’est toujours pas opéré. On perçoit toute l’énergie déployée par les forces, internes et externes, pour s’opposer aux réformes. La rente, la corruption, mais aussi la peur du changement sont à l’oeuvre pour que perdure cette situation calamiteuse.
Quels sont les freins au développement de l’Algérie ?
Plusieurs ont été maintes fois dénoncés par toutes les associations et organisations patronales sans qu’un plan d’action déterminé et énergique en vue de les neutraliser soit pour autant mis en oeuvre. Mais, au-delà des freins, ce qui nous manque le plus c’est une vision partagée de l’Algérie de demain. Le leitmotiv « Algérie 2030 » est sur toutes les lèvres, mais personne n’est capable de nous dire de quoi il s’agit et vers où nous nous acheminons.
Quelles doivent être, selon vous, les priorités économiques de l’Algérie en 2013 ?
Lors de la dernière tripartite [réunion entre gouvernement, patronat et syndicats] à laquelle Care, que je préside, a été convié, nous avons formulé par écrit à l’intention du Premier ministre une ébauche de pacte de confiance pour relancer l’économie. Ce pacte s’articule autour de trois axes temporels (à court terme, à moyen terme – 2013-2014 – et au-delà de 2014) et cinq grands ensembles de mesures : 1) renforcer la sécurité et la visibilité juridiques ; 2) réduire la bureaucratie, étendre les libertés économiques ; 3) rendre le coût du formel plus attractif que celui de l’informel, l’activité de production plus attractive que celle de l’importation ; 4) améliorer et développer le financement de la croissance des entreprises ; 5) préparer maintenant l’Algérie de demain.
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