Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme

Publié le 6 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

L’Etat d’Israël fut longtemps un symbole de liberté et une source de fierté pour tous les
Juifs de la diaspora. En raison du traitement qu’il inflige aux Palestiniens, il est aujourd’hui une honte et un fardeau pour la fraction libérale de la communauté juive. L’occupation illégale, depuis 1967, des territoires palestiniens est le problème de fond. Elle a fait du sionisme, qui était, à l’origine, le mouvement de libération nationale du peuple juif, une puissance coloniale. Par sionisme, j’entends aujourd’hui les colons ultranationalistes et leurs soutiens au sein du gouvernement à majorité Likoud. Ces colons
ne sont qu’une petite minorité, mais ils bloquent le système politique israélien. Le sionisme n’est évidemment pas une forme de racisme, mais une partie des colons fanatisés sont des racistes éhontés. Leurs excès conduisent certains à remettre en question non seulement le projet colonialiste sioniste, dont la caractéristique est de ne tenir aucun compte des frontières de 1967, mais la légitimité même de l’État d’Israël à l’intérieur
de ces frontières.
Le Premier ministre Ariel Sharon incarne cet aspect xénophobe, agressif et expansionniste du sionisme. L’une des figures les plus emblématiques du judaïsme est le rodeph shalom, le pacificateur. Mais Sharon est tout sauf un homme de paix. C’est un homme de guerre, un Rambo juif aux antipodes des valeurs traditionnelles juives de vérité, de justice et de tolérance. Son plan d’évacuation de Gaza n’est que le prélude à l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. Sa politique, c’est la confiscation de la terre ; la destruction des maisons ; l’arrachage des vergers ; les couvre-feux, les barrages et les postes de contrôle ; la violation systématique des droits des Palestiniens et la construction illégale du mur de Cisjordanie, qui sert autant à annexer des parcelles de territoires qu’à assurer la sécurité des Israéliens.
On parle beaucoup actuellement de l’apparition d’un « nouvel antisémitisme ». La thèse est, pour faire vite, que la résurgence de l’antisémitisme n’a rien à voir, ou très peu, avec le comportement d’Israël. L’antisionisme ne serait qu’un nouvel habit du vieil antisémitisme. Mais, d’abord, qu’est-ce que l’antisémitisme ? Isaiah Berlin disait qu’un antisémite est « quelqu’un qui déteste les Juifs un peu plus qu’il n’est nécessaire ». Cette définition malicieuse a le mérite de s’appliquer aux deux antisémitismes, l’ancien et le nouveau. Mais il faut aller plus loin. Y a-t-il aujourd’hui des survivances de l’antisémitisme classique ? La réponse est : oui. L’antisémitisme connaît-il un regain en Europe ? Oui, avec une force inquiétante. Y a-t-il des gens qui utilisent l’antisionisme comme une couverture pour leur méprisable judéophobie ? Hélas ! oui encore. Quel est le poids relatif de la haine d’Israël et de la judéophobie dans le nouvel antisémitisme ? Je ne sais pas.
Ce que je sais, en revanche, c’est que nombre de personnes de qualité qu’on ne saurait soupçonner d’antisémitisme en veulent beaucoup à Israël du sort qu’il inflige aux Palestiniens. Il ne fait aucun doute que l’attitude à l’égard d’Israël évolue à mesure de sa propre évolution vers le sionisme de l’extrême droite et des rabins radicaux. Pendant les années du processus d’Oslo, Israël avait les faveurs de l’Occident parce qu’il paraissait prêt à se retirer des territoires occupés. Son image actuelle est négative non pas parce qu’il est un État juif, mais parce qu’il transgresse les normes d’un comportement international acceptable. En vérité, Israël est de plus en plus perçu comme un État voyou et une menace pour la paix mondiale.
C’est là un facteur important de la récente résurgence de l’antisémitisme, en Europe et ailleurs. Et c’est une tragédie qu’un État censé constituer un refuge pour le peuple juif après l’Holocauste soit aujourd’hui l’un des endroits de la terre où les Juifs sont le moins en sécurité. Israël devrait évacuer les territoires occupés non pas pour le bien des Palestiniens, mais pour son bien propre. Et celui de tous les Juifs du monde. Comme le disait Karl Marx, un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre.

*Né en 1945, à Bagdad, dans une famille juive fortunée, Avraham (« Avi ») Shlaim a grandi en Israël. Historien de renommée internationale et spécialiste du conflit israélo-palestinien, il enseigne aujourd’hui au St. Anthony’s College d’Oxford, au Royaume-Uni. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus connu est sans doute The Iron Wall :
Israel and the Arab World (« Le Mur de fer : Israël et le monde arabe »), publié en 1999 chez W.W. Norton.

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