Un mal nécessaire

Vera Drake, de Mike Leigh (sortie à Paris le 9 février)

Publié le 6 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Le cinéma anglais contemporain, plus que tout autre peut-être, cultive la tradition du réalisme social. Le réalisateur le plus connu qui incarne ce « genre » est Ken Loach, dont on ne compte plus les films, graves ou plus légers, sur le destin de la classe ouvrière britannique sous les règnes très libéraux de la conservatrice Margaret Thatcher, puis du travailliste Tony Blair. L’autre grand représentant de cette veine cinématographique, désormais presque aussi connu que son compatriote, se nomme Mike Leigh.
Avec son dernier film, Vera Drake, couronné par le Lion d’or du dernier Festival de Venise, il illustre on ne peut mieux ce « genre » consacré à la défense des petites gens. Qu’on en juge. Il raconte en effet comment, dans la Grande-Bretagne des années 1950, une simple femme de ménage, énergique, généreuse et dévouée, finira en prison pour avoir voulu aider son prochain, plus exactement des jeunes filles dans la détresse.
Certes, il ne s’agit pas d’un coup de main anodin. Vera Drake est en effet devenue depuis longtemps faiseuse d’anges : elle aide des femmes enceintes à avorter. Même si elle propose ses services gratuitement, elle n’est pas à proprement parler une militante avant l’heure de l’avortement, une cause qui l’emportera sur un plan légal dans les pays occidentaux dans les années 1970. Elle agit, manifestement, sans trop réfléchir aux présupposés politiques, religieux ou sociologiques de ce passage à l’acte, parce qu’elle pense qu’il faut le faire, que c’est un mal nécessaire, qu’on ne peut laisser des jeunes filles gâcher leur vie de femme avant même de l’avoir commencée pour une « bêtise » aux lourdes conséquences.
Cette approche individuelle et « pratique » d’une question de société majeure à un moment où ni le législateur ni la médecine n’avaient encore décidé de s’en emparer comportait évidemment des risques. La naïve Vera Drake ne l’ignore pas tout à fait – elle opère dans le plus grand secret -, mais elle ne veut pas en tenir compte. Il suffira donc d’une enquête de police diligentée à la demande d’un hôpital après une de ses interventions qui aura mal tourné pour que l’histoire tourne à la tragédie et au scandale. D’autant que si la femme de ménage au grand coeur est désintéressée, l’une de ses amies qui lui adresse ses « patientes » avait transformé cette activité en une affaire lucrative – pour elle et elle seulement bien entendu.
Avec ce mélodrame, Mike Leigh entend évidemment rappeler que le problème de l’avortement mérite encore qu’on s’y intéresse. À un moment où, en particulier aux États-Unis, diverses associations conservatrices et mouvements religieux militent pour un retour en arrière sur le plan juridique dans ce domaine, il veut qu’on puisse imaginer à quel point la situation était horrible avant la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans un pays comme le sien. Le film, à cet égard, remplit bien la mission qui lui était impartie par le réalisateur. Mais on peut penser qu’il s’agit là pour le moins d’une façon réductrice d’aborder un sujet aussi important, et toujours d’actualité sur toute la planète.
Mike Leigh, qui recrée avec talent une ambiance « classe ouvrière années 1950 » sur l’écran, n’évite pas toujours le pathos, mais réussit à le contenir dans certaines limites. Quant à l’interprétation magistrale de Vera Drake par la grande comédienne britannique Imelda Stauton, à juste titre primée à Venise pour ce rôle, elle porte littéralement le film. Dommage, donc, que le relatif simplisme de la « thèse » soutenue pousse moins le spectateur à réfléchir au thème abordé qu’à éprouver de la pure compassion pour la plupart des personnages. Ce qui aurait pu être un grand film politique n’est en fin de compte qu’une chronique sociale et humaniste très classique et même, à bien des égards, très banale.

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