Chirac en panne d’idées

Le président français a profité de son voyage à Dakar pour mettre la pression sur les protagonistes de la crise ivoirienne. Mais sans avancer, sur le fond, de propositions novatrices.

Publié le 6 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Paris avait ces derniers temps fait preuve d’une relative discrétion dans la crise ivoirienne, comme s’il voulait calmer le jeu et s’effacer derrière le médiateur sud-africain Thabo Mbeki, attelé à la recherche d’une solution à l’équation politique posée par le pays d’Houphouët depuis le 19 septembre 2002. On avait mal compris. Jacques Chirac a profité de son voyage en terre africaine, à Dakar, pour reprendre en main le dossier et mettre la pression sur tous les protagonistes du drame, à commencer par celui qui fait maintenant figure à ses yeux de principal obstacle à la paix, son homologue ivoirien Laurent Gbagbo. En n’écartant pas l’éventualité d’un retrait des forces françaises de l’opération Licorne et en faisant part de son pessimisme tant sur les résultats actuels de la médiation Mbeki que sur le respect du calendrier électoral, Chirac, appuyé par un Abdoulaye Wade en parfait accord avec lui, ne s’est pas embarrassé de précautions diplomatiques. Il a souhaité placer chacun face à ses responsabilités. Mais n’a pas avancé, sur le fond, de propositions novatrices.
« La France, a martelé Chirac dans sa conférence de presse du 2 février, est en Côte d’Ivoire pour essayer d’y défendre un minimum de stabilité et de démocratie. Elle n’est pas en train de mener une guerre de conquête. Elle est là sous mandat international, à la demande de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest]. […] Si l’ONU enjoint à la France de maintenir Licorne, nous examinerons ce souhait de façon positive, à condition que les responsables africains nous le demandent. […] Si on ne veut pas que la France reste là-bas, elle ne restera pas. Et ce n’est pas l’ONU qui dira ça, ce sont les Africains. À commencer naturellement par le gouvernement ivoirien. » Il faut comprendre les propos de Chirac comme une tentative de relégitimer la présence de Licorne en Côte d’Ivoire, et de dissiper l’impression laissée par les affrontements du mois de novembre 2004 à Abidjan.
En dramatisant l’échéance du 4 avril, date de l’expiration du mandat onusien de Licorne, et en faisant mine de ne pas écarter la possibilité d’un retrait pur et simple, le président français veut forcer la main de Gbagbo. Car le soutien du Conseil de sécurité et celui de l’Union africaine (UA) lui sont acquis. Pour ne pas passer aux yeux de ses pairs et de l’opinion internationale pour un irresponsable, le numéro un ivoirien va donc se voir obligé de solliciter le maintien de Licorne et d’avaliser la présence française que ses partisans assimilent à une occupation. La manoeuvre est habile. Et, en réalité, la France n’a aucune intention d’abandonner le navire ivoirien.
La médiation de Mbeki laisse Chirac pour le moins sceptique. Même si la France apprécie le président sud-africain et appuie sans réserve la démarche qu’il a engagée en novembre à la demande du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, elle juge que, pour l’instant, « son action n’a pas eu un effet particulièrement fort ». Mais pourquoi assortir ce jugement de commentaires désobligeants faisant passer le médiateur pour une espèce d’intrus naïf pas forcément à sa place dans la région ? Chirac a en effet déclaré qu’il souhaitait que Mbeki « s’immerge dans l’Afrique de l’Ouest […] pour comprendre la psychologie et l’âme de l’Afrique de l’Ouest, car dans les périodes de crise, il faut bien connaître la psychologie et l’âme des gens ».
Abdoulaye Wade y est allé lui aussi de sa pique à l’endroit du médiateur, en expliquant qu’il ne partageait pas son optimisme sur les questions du désarmement et du retour des ministres des Forces nouvelles au gouvernement. Chirac et Wade n’ont fait que dire tout haut ce que beaucoup, en Afrique francophone, pensent tout bas depuis la nomination de Mbeki : le numéro un sud- africain n’était peut-être pas le plus qualifié pour traiter des problèmes ivoiriens. Leurs propos traduisent une irritation croissante devant la naïveté du Sud-Africain, qui serait en train de se faire « rouler dans la farine » par Gbagbo.
Français et Sénégalais, qui constatent que la présidentielle prévue pour octobre 2005 a de moins en moins de chance de se tenir à la date prévue – et même de se tenir tout court -, voudraient que Mbeki « muscle » son discours et place le camp loyaliste face à ses responsabilités, notamment pour ce qui est du volet législatif (vote des lois, réformes de l’article 35, etc.). Ils ont, maladroitement, essayé de mettre la pression sur le médiateur. Car il y a urgence. Les belligérants ont commencé à se réarmer, et la situation pourrait rapidement devenir à nouveau explosive. L’embargo onusien sur les armes est violé en permanence. « Nous voyons beaucoup de choses entrer par le Sud, explique une source française. Il en entre aussi probablement par le Nord, mais au Sud, surtout au port, les choses sont flagrantes. Et, jusqu’à présent, Licorne et l’Onuci n’avaient pas les moyens de s’y opposer. »
Même si Chirac a rectifié le tir, la réaction de Pretoria ne s’est pas fait attendre. « Évidemment, nous ne prétendons pas connaître tout sur l’Afrique de l’Ouest. Mais nous ne refuserons jamais l’aide de ceux qui savent mieux », a ironisé, le 3 février, Aziz Pahad, vice-ministre des Affaires étrangères. Et d’asséner : « Nous avons obtenu en trois mois plus que personne n’a réussi à obtenir en deux ans. »
La spectaculaire montée au créneau de Chirac trahit son inquiétude face au pourrissement de la situation sur le terrain. Le temps ne joue pas pour la paix. La France, et la communauté internationale avec elle, a durci le ton, et le Conseil de sécurité de l’ONU vient de voter, dans la nuit du 2 au 3 février, une résolution très ferme autorisant les forces impartiales à inspecter toutes les marchandises entrant en Côte d’Ivoire et à saisir les matériels prohibés. Mais, au-delà de ces réponses ponctuelles, on peine à discerner les contours de la stratégie française dans la crise ivoirienne. À Dakar, Chirac a réaffirmé qu’à ses yeux il n’existait pas de solution autre que celle de Marcoussis et d’Accra III. Mais plus le temps passe, plus le risque de voir cette option devenir complètement caduque s’accroît.
Si, comme c’est maintenant probable, la présidentielle n’a pas lieu, il faudra changer de logique, imaginer un « plan B », et le faire savoir, de façon à mettre la pression sur les protagonistes de la crise. Or ni Chirac ni personne dans son entourage n’a émis d’idée véritablement nouvelle au cours du déplacement sénégalais. Paris est, plus que jamais, en panne d’imagination sur la Côte d’Ivoire. Le wait and see, en espérant que Mbeki finisse par tirer tout le monde d’embarras, semble bien lui tenir lieu de politique.

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