Baba Hama

Publié le 6 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique/l’intelligent : La relative faiblesse de la production en Afrique ne vous oblige-t-elle pas à sélectionner presque tous les films d’auteur qu’on vous propose ?
Baba Hama : Pas du tout. Pour sélectionner les vingt films en compétition, nous avons eu à choisir parmi les quatre-vingt-deux qu’on nous a proposés. Seulement un quart de cet ensemble de longs-métrages africains – qui ne représente d’ailleurs pas la totalité de la production, loin de là – concourront donc pour obtenir l’Étalon de Yennenga. Et un autre quart participera au Panorama des cinémas d’Afrique. Notre objectif, à terme, est bien de diminuer un petit peu le nombre de films participant à la compétition pour améliorer sa qualité et faciliter le travail du jury : le chiffre idéal se situe sans doute entre douze et quinze films. Mais ce n’est pas facile : même avec vingt films, soit plus que la dernière fois, vous verrez, il y aura des protestations cette année ! Car, au total, la production, avec des hauts et des bas, est de plus en plus abondante. Et puis il faut toujours garder à l’esprit que ce festival a une mission de promotion et même de révélation d’oeuvres et de cinématographies qui n’ont guère de chances d’être vues ailleurs. Donc, tous les films dignes d’intérêt dans toutes les régions d’Afrique doivent être montrés d’une façon ou d’une autre. Même si ce n’est pas forcément en compétition.

J.A.I. : Quelles sont les lignes de force de la sélection 2005 ? Assiste- t-on à une évolution de la répartition géographique de la production de qualité ?
B.H. : Le plus frappant, côté positif, c’est sans doute la production florissante de l’Afrique du Sud. Neuf longs- métrages de ce pays nous ont été proposés, et il y en aura quatre en compétition – contre un seulement, réalisé d’ailleurs par un Américain, en 2003. L’Afrique australe sera d’autant mieux représentée qu’un film namibien et un film angolais feront aussi partie de la sélection – et qu’un film du Zimbabwe sera projeté dans le cadre du Panorama. Le Maghreb, pour sa part, continue à avoir une production importante, en particulier au Maroc. Il y aura ainsi au total six longs-métrages du Maghreb – deux par pays – en compétition. En revanche, l’Afrique de l’Ouest, mis à part le Burkina, qui continue à faire exception dans la région (six films présentés, quatre en compétition) ainsi que l’Afrique centrale semblent au creux de la vague. Il n’y aura, par exemple, dans les sélections aucun long-métrage du Mali, de la Côte d’Ivoire ou du Tchad, pour citer trois pays présents ces dernières années. Enfin, comme depuis un certain temps, deux des pays anglophones les plus importants, le Nigeria et le Kenya, seront absents : ils privilégient la production vidéo à objectif commercial immédiat et ne proposent donc pas de films d’auteur.

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J.A.I. : Et au niveau des thèmes ?
B.H. : S’agissant de l’Afrique du Sud, on pourra voir à quoi ressemble le cinéma post-apartheid. Mais, d’une manière générale, on peut constater que beaucoup de films tournent autour du thème de l’identité et de l’émancipation, sous toutes ses formes. Et cela de façon concrète, avec des films moins purement esthétiques qu’auparavant. Plusieurs longs-métrages sont par ailleurs très directement dans le registre de la dénonciation, de la revendication, de la critique acérée du passé proche ou du présent. Au plan politique et social à la fois.

J.A.I. : On a été frappé lors de l’édition 2003 par la qualité de nombreux documentaires qui étaient de véritables films d’auteur. Observe-t-on en Afrique un renouveau de ce genre, comme ailleurs ?
B.H. : C’est effectivement un genre en expansion partout dans le monde. Nous lui faisons une place dans les sélections, que ce soit au niveau des longs-métrages – Le Malentendu colonial, du Camerounais Jean-Marie Teno, participera ainsi à la compétition – ou des courts-métrages – on peut citer par exemple Les Poupées de sucre, d’Anis Lassoued, qui représentera la Tunisie. Et on a renforcé le volet de la manifestation qui lui est spécifiquement consacré, le « Côté doc du Fespaco », où cette année seront organisés, outre les projections, de très nombreux débats et conférences. Cet effort est d’autant plus nécessaire qu’en Afrique il n’y a quand même pas encore beaucoup de documentaires qui sont de véritables créations. La plupart des films, en particulier en vidéo, ressemblent encore souvent à de simples reportages.

J.A.I. : On ne trouve guère de réalisateurs très connus au niveau international dans la sélection pour la compétition. Avez-vous une explication pour cette absence des grands noms du cinéma africain ?
B.H. : Il y aura quand même, certes hors compétition, le dernier film de Ousmane Sembène, Molaade. Et l’un des derniers lauréats de l’Étalon, le Congolais Mweze D. Ngangura, participera à la compétition avec un film ambitieux, puisqu’il s’agit d’une comédie musicale, Les Habits neufs du gouverneur. On serait évidemment ravi de présenter aussi de nouveaux films de Souleymane Cissé, de Cheick Oumar Sissoko ou d’Idrissa Ouédraogo, pour n’en citer que trois. Mais qui ne connaît les difficultés de production, de recherche des financements, pour les films africains ? Et même pour la distribution une fois que les films sont réalisés ? De quoi décourager peut-être un peu certains grands anciens, qui se tournent à l’occasion vers d’autres activités…

J.A.I. : Il est vrai, par exemple, qu’on n’a toujours pas vu dans un circuit « normal » en Europe le dernier film de Ouédraogo, La Colère des dieux, qui avait fait l’ouverture du dernier Fespaco et que la majorité des critiques de tous horizons ont pourtant apprécié…
B.H. : Il serait bien qu’on puisse découvrir une telle oeuvre en France. Mais le plus grave, c’est que ce film, comme tant d’autres, y compris sans doute le dernier qui a obtenu le grand prix au Fespaco, Heremakono, du Mauritanien Abderrahmane Sissako, n’ont même pas été vus en Afrique hors des festivals ou de circonstances exceptionnelles ! Il faudrait donc prendre à bras-le-corps ce problème majeur de la distribution et de la diffusion des films en Afrique. Ce qui suppose une volonté des États, avec des actions à mener au niveau des grandes régions si possible. Il faut, grâce à des mesures incitatives, encourager les distributeurs et les exploitants de diverses façons. Et, au moins pour commencer, créer un meilleur environnement, notamment juridique, pour leur activité. Peut-être, disent certains, faudrait-il encourager aussi, pour redynamiser le secteur, l’apparition d’un cinéma plus grand public, pour qu’on puisse plus facilement mobiliser de nouvelles ressources. Mais là, il y aura sûrement des désaccords…

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