Aristide devient président d’Haïti

Publié le 6 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Cinq ans, jour pour jour, après la fuite à l’étranger du dictateur Jean-Claude Duvalier, Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, se réveille au milieu d’un indescriptible carnaval. Dès l’aube, en ce 7 février 1991, une marée humaine a pris possession de la rue. Les gens chantent et dansent pour accompagner jusqu’au Palais national Jean-Bertrand Aristide (37 ans), son président nouvellement élu, qui s’apprête à prêter serment. Contre tous les lobbies politiques et économiques – et même contre les responsables américains, qui n’apprécient que modérément ses sermons au vitriol -, « Titid », le prêtre des bidonvilles, la voix des sans-voix, a été porté au pouvoir par un incroyable élan de ferveur populaire. Et qu’importe si sa campagne électorale a été marquée par une succession de violences et si son programme gagnerait à être plus clair, les Haïtiens se sont librement exprimés. La mission électorale dépêchée par les Nations unies les a aidés à organiser des élections transparentes, et Aristide a recueilli 67,48 % des voix. L’ère des « tontons macoutes », ces nervis duvaliéristes de sinistre mémoire, est révolue.

En ce jour historique, celui que l’on appelle encore « le père Aristide » prend un pari risqué sur l’avenir, et son discours, qui ressemble encore beaucoup aux prêches qu’il prononçait naguère dans sa petite église de Saint-Jean Bosco, va achever de faire de son investiture un symbole extraordinaire. Et un événement planétaire.
« Nous sommes à l’aube de la deuxième indépendance d’Haïti, lance-t-il aux dizaines de milliers de personnes massées sur le Champ-de-Mars, devant le Palais. La démocratie ou la mort ! » La foule s’enflamme, tandis qu’un léger embarras voile le visage de certains de ses invités, américains notamment. La délégation des États-Unis est modestement conduite par Louis Sullivan, le secrétaire à la Santé, et par l’ancien président Jimmy Carter. Sa victoire, explique Aristide en anglais, « signifiera justice et bien-être pour tous ». Passant à l’espagnol, il invoque l’héritage de la théologie de la libération, exige la justice et la dignité pour les pauvres. Carlos Andrés Pérez, le président vénézuélien, apprécie. Puis, en français et en créole – pour être compris de tous -, le nouveau président s’engage à respecter tous les cultes, catholique, protestant ou vaudou, ce qui arrache un sourire à Mgr Jacques Gaillot, l’archevêque qui accompagne Danielle Mitterrand, l’épouse du président français, empêché.
Aristide se tourne alors vers le général Hérard Abraham, le commandant en chef des forces armées – réputées tout à la fois corrompues et frondeuses. Il lui demande d’engager d’indispensables réformes et, dans la foulée, lui intime l’ordre d’octroyer une retraite « bien méritée » à six généraux et un colonel connus pour leurs liens avec l’ancien régime duvaliériste. Tous ceux, et ils sont nombreux, qui considèrent le père Aristide comme un mystique incapable de gouverner en restent sans voix. Ce coup de balai inaugural semble de bon augure pour la suite. On se trompe, bien sûr…

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La tâche du futur gouvernement est immense. Il va lui falloir réparer les injustices infligées au peuple, trente ans durant, par un régime dictatorial, relancer l’économie, résorber le chômage et réduire le taux d’analphabétisme. Plusieurs pays, dont la France, l’Allemagne, le Venezuela et Taiwan se sont déjà engagés à accroître leur aide. Nommé par Aristide quelques jours plus tard, le Premier ministre René Préval s’attaque sans attendre aux dossiers prioritaires comme celui de l’énergie, afin de remédier aux coupures de courant de plus en plus fréquentes. Les dés sont jetés. Hélas ! ils vont rouler dans le mauvais sens. Attisée par la misère, la violence s’aggrave. Les conflits entre le nouveau pouvoir et l’opposition se radicalisent. Huit mois plus tard, le 30 septembre, Aristide est renversé par le général Raoul Cédras.

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