Turquie-Union européenne : un faux débat franco-français

Publié le 5 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

En France, le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne (UE) redouble d’intensité à l’approche du 17 décembre, date à laquelle les chefs d’État et de gouvernement se prononceront sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec Ankara. Ce faux-débat essentiellement franco-français, démagogique et électoraliste n’aborde pas les questions de fond. La méconnaissance profonde, voire l’ignorance des hommes politiques sur la Turquie est consternante. Elle alimente un ostracisme populiste qui devrait être condamné au même titre que l’antisémitisme. Car s’il est un danger qui guette l’Union, c’est bien l’exclusion de ce grand pays de la construction européenne.
Le processus d’intégration est pourtant irréversible. En 1999, la Turquie s’est vu reconnaître le statut de candidat à l’UE. Elle est membre fondateur du Conseil de l’Europe, un accord d’union douanière la lie à l’UE depuis 1995.
Il faut totalement exclure l’option du « partenariat privilégié » car la Turquie a déjà ce statut, toute autre proposition que l’adhésion sera perçue comme rejet et ne sera acceptée par aucun gouvernement turc.
La question de savoir si elle fait partie ou non de l’Europe ne s’est posée ni lors de son adhésion à l’Otan en 1953 ni lors de la signature des accords d’association en 1963. Ni dans aucun championnat sportif : personne ne lui a jamais contesté le droit de participer à des compétitions européennes de football ou de basket-ball.
Malgré cela, on est sans cesse obligé de rappeler que la Turquie fait partie intégrante de l’histoire européenne depuis le xive siècle, sinon depuis le XIe, et qu’elle se situe aujourd’hui au seizième rang de l’économie mondiale, qui en fait l’équivalent de l’Australie.
En quoi serait-il gênant qu’elle devienne le seul pays musulman de l’Union ? Ce serait plutôt à elle d’avoir peur, avec ses 70 millions de musulmans, d’adhérer à une Europe peuplée de près de 450 millions de chrétiens !
L’adhésion de la Turquie apporterait davantage de stabilité à l’UE, renforcerait l’Europe politique en la crédibilisant et donnerait de l’espoir aux confins de l’Europe, dans des zones conflictuelles comme le Moyen-Orient, les Balkans, le Caucase et l’Asie centrale.
L’incompréhension de l’opinion française vient autant de sa classe politique que de ses médias ; au lieu de préparer à l’idée de l’adhésion turque, ils alimentent les peurs et les stigmates. Les socialistes ont peut-être fait davantage d’efforts que la droite, à l’exception du président Jacques Chirac. Mais, au cours de ces vingt dernières années, la gauche n’a défini aucune politique cohérente sur le sujet, toute approche était reliée soit à la question arménienne soit au problème kurde. La Turquie est un pays européen, que cela plaise ou non à l’extrême droite raciste et xénophobe, à l’UDF ou à l’UMP. Quant au gouvernement, il préfère suivre l’opinion publique et gagner le « vote arménien ». Au risque de perdre celui des 400 000 Turcs qui vivent en France. Selon les associations turques, plus de 60 000 d’entre eux sont naturalisés et le reste est en passe de l’être.
Cet électorat pèse déjà lourd en Allemagne. Cela sera bientôt le cas en France comme en Belgique, aux Pays-Bas, en Suède, au Danemark, en Suisse… Près de 4 millions de Turcs sur les 5 millions que compte au total la diaspora vivent en Europe. Dans tous les pays, on compte de plus en plus de jeunes élus d’origine turque.
La subsistance d’un pareil ostracisme est due à l’archaïsme de la démocratie française qui refuse d’accorder le droit de vote à des millions d’étrangers qui vivent, paient leurs impôts et élèvent leurs enfants en France. Avec un droit de vote, même limité, ces « étrangers » seraient mieux considérés, et les racistes, qu’ils soient « light » ou purs et durs, feraient un peu plus attention.

* Mesut Tufan, journaliste et cinéaste turc, vit en France depuis 1973. Il a collaboré à Yol, le film de Yilmaz Güney (palme d’or 1 982 au Festival de Cannes). Il prépare pour Arte une série documentaire sur les chrétiens du Moyen-Orient et les musulmans des Balkans.

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