Béji Caïd Essebsi *

Publié le 5 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

J’ai rencontré Yasser Arafat pour la première fois en 1970. J’étais ministre d’État chargé de la Défense nationale. Il était venu à Tunis auréolé du prestige de son élection à la tête de l’OLP. Nous avions étudié les moyens d’aider la cause palestinienne. Il était volubile, mais savait ce qu’il voulait et avait une approche très sélective de ce que nous étions disposés à lui donner, ne prenant que ce dont son mouvement avait besoin. Peu de temps après, il y eut les événements d’Amman [Septembre noir].
J’ai quitté le gouvernement cette même année 1970, mais j’ai continué à m’intéresser au destin de cet homme à la personnalité très attachante. Je ne l’ai revu qu’une dizaine d’années plus tard. Ayant été nommé, en avril 1981, à la tête du ministère des Affaires étrangères, j’ai eu l’occasion de le rencontrer plus fréquemment, surtout après l’installation de la direction palestinienne en Tunisie, en 1982.
Le président Habib Bourguiba avait l’habitude de me demander mon avis avant de prendre certaines grandes décisions. S’agissant de celle d’accueillir le quartier général de l’OLP à Tunis, il s’était contenté de m’en informer après coup. Il reçut, dans sa résidence d’été, à Monastir, le représentant de l’OLP en Tunisie, Hakam Balaaoui, qui lui en a fait la demande officiellement. Wassila, son épouse, y était très favorable. Bourguiba avait sans doute aussi ses raisons.
Durant des années, j’ai été en contact quasi quotidien avec Arafat et les autres leaders de l’OLP, notamment Farouk Kaddoumi, Abou Mazen et les regrettés Aboul Hawl et Abou Jihad. Arafat s’était imposé, entretemps, comme le leader incontesté de l’OLP. Il s’identifiait à la cause de son peuple. Sa barbe toujours naissante et son keffieh, qu’il promit de ne jamais enlever tant que l’État palestinien ne sera pas proclamé, étaient devenus célèbres dans le monde entier.
Abou Ammar était le centre autour duquel gravitaient tous les mouvements palestiniens. Il était la synthèse de leurs contradictions. Pour cela, il n’hésitait pas à épouser les points de vue qu’il ne partageait pas, quitte à se faire parfois une douce violence. Il a fini aussi par confisquer tous les pouvoirs. Tout devait passer par lui. Par exemple, il assistait en personne aux réunions des ministres des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe, où l’OLP était pourtant représentée par son chef du département politique Farouk Kaddoumi. Il siégeait ensuite avec les chefs d’État.
Le caractère roublard d’Arafat lui a d’ailleurs valu la suspicion de plusieurs chefs d’État arabes. Lui-même tenait tout le monde en suspicion. Mais ce qui le définissait le mieux, c’était sa manière de chercher toujours le consensus, d’éviter autant que possible les positions tranchées.
La veille de son voyage aux États-Unis, où il devait prononcer son célèbre discours à la tribune des Nations unies, en novembre 1974, Arafat était venu voir Bourguiba. Ce dernier m’a raconté : « Je lui ai conseillé d’abandonner le fusil, d’aller là-bas avec un rameau d’olivier et de dire aux représentants de la communauté internationale : « Vous avez voté des résolutions. Je vous demande de les appliquer. » » « Vous, Monsieur le Président, vous pouvez le dire », a objecté Arafat. « C’est vous le chef de la révolution palestinienne », a rétorqué Bourguiba. Arafat a alors lâché : « Je ne peux pas. » Finalement, il n’a pas suivi le conseil du président tunisien : il ne pouvait mécontenter le camp de l’OLP qui était favorable à la poursuite de la lutte armée.
Pour ne pas être injuste à l’égard d’Arafat et de son action, il ne faut pas oublier qu’il avait, face à lui, des adversaires retors qui n’avaient qu’une idée en tête : liquider la cause palestinienne.

* Ancien ministre tunisien des Affaires étrangères (1981-1986), Béji Caïd Essebsi a beaucoup fréquenté Yasser Arafat au temps où l’OLP était basée à Tunis (1982-1994).

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