Ne pas banaliser la misère

Publié le 5 novembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Ce titre d’« ambassadeur de bonne volonté »* vous agace la langue comme un fruit trop vert. L’intitulé est tout à la fois désuet et tellement politiquement correct qu’il vous donne la nausée. Pourtant ceux qui acceptent de jouer le jeu sont des gens estimables, qu’on apprécie ou non leurs talents aussi divers que médiatiques : chanteurs, acteurs, artistes, sportifs de haut niveau.

À bien y réfléchir, ce désagrément ressenti, repose sur une première constatation : les journalistes ne font plus leur métier, ils se sont laissé déposséder d’un devoir extraordinaire : témoigner des injustices de ce monde, de sa cruauté, donner voix aux oubliés, impulser des changements politiques en dénonçant les abus envers les pays pauvres. Et ce n’est pas l’explication du président du Comité national de l’Unicef France, Jacques Hintzy, qui va nous rassurer : « Un ambassadeur Unicef n’est pas un professionnel habitué à rendre compte, son témoignage est plus affectif, il parle mieux au public. Et puis, c’est difficile d’intéresser les médias à une campagne de vaccination dans un pays qui n’est pas en guerre. Mais si c’est Emmanuelle Béart qui revient d’une campagne de vaccination, cela permet en effet de traiter de sujets oubliés par la presse. »

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Pour elle on se déplace. Tout est dit. Mais que pèse un Corneille, une Emmanuelle Béart, face à un tsunami qui a doublé les dons de l’Unicef France en 2005 au point de la placer en troisième position des donateurs derrière les États-Unis et l’Allemagne ? Aucune évaluation n’a jamais été faite, semble-t-il, sur l’impact des ambassadeurs dont la mode se répand ; mais à l’Unicef seule compte, dit-on, la sincérité de leur engagement. Ils doivent être prêts à prendre chaque année quinze jours de leur temps pour aller sur le terrain et témoigner auprès des médias et des donateurs. Une certaine moralité est requise, l’Unicef se réservant le droit de dissuader les candidats qui n’auraient pas tout à fait le profil souhaité. Et pour cette disponibilité, un ambassadeur reçoit un billet d’avion pour sa mission – en classe économique – d’autres se prennent en charge complètement. Rien de plus.

On ne rentre pas indemne d’une mission. Après dix ans d’ambassade pour l’Unicef France, Emmanuelle Béart a préféré se retirer : il lui arrivait de ne plus supporter d’avoir à tenir une conférence de presse pour raconter les drames atroces qu’elle venait de vivre. Peut-être aussi un certain sentiment de ne pas avoir d’emprise personnelle sur les événements, de se sentir « instrumentalisée ». Sans compter la peur de banaliser la misère, de n’avoir plus la capacité de s’émouvoir, un danger qui, précisément, guette le journaliste.

*Ambassadeurs de bonne volonté : Unicef : Pierre Arditi, Brigitte Fossey (comédiens), Yves Duteil, Corneille, Laetitia Hallyday (chanteurs), Robert Hossein (metteur en scène), Alexis Gruss (cirque); Unesco : Patrick Baudry (spationaute), Pierre Cardin (créateur de mode) ; OMS : Sylvie Vartan (chanteuse) ; UNHCR : Julien Clerc (chanteur).

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