Le spectre d’al-Qaïda

On croyait les terroristes islamistes du GSPC très affaiblis. Pourtant, même si le ramadan 2006 a été relativement peu meurtrier, ils sont encore capables de lancer de sanglantes et spectaculaires opérations.

Publié le 5 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Dans la nuit du 29 au 30 octobre, Alger a renoué avec les attentats à la voiture piégée. Ces attaques, imputées au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), ont visé deux commissariats de la banlieue est de la capitale, tuant trois civils, blessant une vingtaine de policiers, provoquant des dégâts matériels considérables et ravivant le spectre d’un regain de violence terroriste. Le dernier attentat à la voiture piégée remontait à juillet 2003, quand une déflagration avait secoué le site de la station de dessalement d’eau de mer d’el-Hamma, au cur d’Alger. Qualifiée de « résiduelle » au début des années 2000, jugée agonisante après la mise en uvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum en mars 2006, l’insurrection islamiste semble pourtant loin d’avoir abdiqué.
« Le terrorisme islamiste ne constitue plus une menace pour la République », déclarait l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia le 13 octobre. Si l’on s’en tient au bilan des opérations terroristes durant le mois de ramadan, propice aux yeux des intégristes à l’intensification du djihad, Ahmed Ouyahia n’a pas tort : 32 personnes tuées (dont 17 membres des services de sécurité). On a vécu des ramadans beaucoup plus meurtriers, lors desquels les victimes se comptaient par centaines. Toutefois, un certain nombre d’éléments demeurent inquiétants.
Le 11 septembre, l’annonce par Ayman al-Zawahiri, le bras droit d’Oussama Ben Laden, du ralliement officiel du GSPC à la nébuleuse al-Qaïda a donné une tout autre envergure à l’organisation terroriste algérienne, devenue soudain plus digne d’intérêt pour les rédactions de la presse internationale, les services de renseignements occidentaux et les chancelleries. On a commencé à s’inquiéter de ses réseaux dormants en Europe et à se poser des questions sur ses capacités organisationnelles en dehors du territoire algérien. Même Baltasar Garzón, le célèbre juge antiterroriste espagnol, a estimé qu’un voyage à Alger s’imposait.
La dimension internationale du GSPC a longtemps été négligée. Pourtant, ses liens avec les salafistes maghrébins étaient un secret de polichinelle. Par ailleurs, une soixantaine de ses combattants sont présents depuis des années, de manière permanente, dans le nord du Mali.
Le 29 septembre, une colonne du GSPC composée de plusieurs véhicules a ainsi été accrochée à Tigherghar, fief de Hassan Fagaga, le chef de la rébellion touarègue. Les rebelles laïcs de ce dernier face aux rebelles islamistes de Mokhtar Belmokhtar, (« MBM », alias Khaled Abou el-Abbas), l’émir du GSPC pour le Sahel : l’affrontement a tourné à l’avantage des premiers. Les djihadistes ont été contraints de se replier, laissant derrière eux les corps sans vie de quatre combattants, dont un certain Abdelhamid, alias Abou el-Houl, le lieutenant de MBM. Selon les Touaregs, les cadavres ont été remis aux autorités algériennes (le poste frontière est à moins de 200 km de Tigherghar). La vengeance du GSPC sera terrible
Le 23 octobre, une patrouille de rebelles touaregs tombe dans une embuscade tendue par une vingtaine d’éléments salafistes. Le bilan est lourd : une dizaine de morts. Deux affrontements meurtriers en moins d’un mois, c’est une première depuis que les djihadistes se sont installés dans la région, à la fin des années 1990. Pourquoi le Sahel ? Parce que c’est la route de tous les trafics : du cannabis marocain aux cigarettes américaines contrefaites, en passant par tous les types d’armes. Les revenus de cette contrebande se chiffrent en millions de dollars. De quoi acheter la complicité des populations locales, sans laquelle les salafistes algériens, tous originaires du Nord, ne pourraient se maintenir dans cette région désertique.
La présence à Tigherghar d’une colonne islamiste s’explique donc par la volonté du GSPC de contrôler au plus près ces trafics. On s’en était aperçu quand, trois semaines auparavant à Berriane, dans la région de Ghardaïa, à 800 km plus au nord, un camion bourré d’armes, de munitions et d’explosifs avait été intercepté par l’armée algérienne, manifestement prévenue de cette tentative d’acheminer des armes au maquis du GSPC. Après un début de résistance, les quatre occupants du camion avaient été neutralisés (deux morts et deux prisonniers).
Pourtant, le succès de l’opération suscitera à Alger plus d’inquiétude que d’euphorie. Parce que trois des quatre convoyeurs d’armes avaient moins de 25 ans et avaient, semble-t-il, rejoint récemment les rangs du GSPC, preuve que l’organisation d’Abou Moussab Abdelwadoud – qui en a pris la tête en juin 2004 continue de recruter. Autre information troublante : le chauffeur abattu avait été libéré six mois plus tôt dans le cadre de l’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les adversaires d’Abdelaziz Bouteflika, l’initiateur de cette politique, se frottent les mains : « Tout cela prouve, s’il en était besoin, qu’un bon islamiste est un islamiste mort ou derrière les barreaux », assènent les plus virulents détracteurs du laxisme présumé des autorités.
Un officier supérieur chargé de la lutte antiterroriste tempère quelque peu la virulence de ces propos : « Les adhésions massives annoncées par certains sites islamistes ne sont qu’affabulations. Les effectifs du GSPC ne cessent de se réduire au fil des redditions et des ratissages de l’armée. S’agissant des islamistes graciés qui ont rejoint les maquis, nous ne disposons d’aucune statistique, mais je puis vous certifier qu’il ne s’agit que de cas isolés. » Parmi ces « cas isolés », certains ont néanmoins fait grand bruit. En particulier celui d’Abdelqahar Benhadj, le fils d’Ali Benhadj, le très radical ancien numéro deux du Front islamique du Salut (FIS).
La nette amélioration de la sécurité en Algérie est indéniable. Mais elle a, somme toute normalement, provoqué un certain relâchement de la vigilance. Et une tendance à sous-estimer les capacités de nuisance du GSPC. Tous les commentateurs s’accordaient à estimer que les intégristes algériens n’avaient plus les moyens humains et matériels d’organiser des opérations de grande envergure. Cet optimisme était sans nul doute excessif.
Un premier avertissement a été lancé le 13 octobre, quand Rabah Aissat, président d’une assemblée populaire de wilaya (département) et membre de la direction du Front des forces socialistes (FFS) d’Hocine Aït Ahmed, a été abattu par un jeune armé d’un pistolet, alors qu’il était attablé dans un café de son village de Kabylie. Un cinglant démenti pour les autorités algériennes, convaincues que le GSPC était incapable de prendre pour cible une personnalité politique. Quinze jours plus tard, alors que les assassins de Rabah Aissat courent toujours, des attentats à la voiture piégée ont donc visé deux commissariats à l’est de la capitale. Le mode opératoire rappelle étrangement celui d’al-Qaïda : les deux explosions ont eu lieu à dix minutes d’intervalle. Une singularité toutefois : il ne s’agit pas d’attaques suicides. « Cela montre que le recrutement n’est pas aussi massif qu’on le prétend », assure un commissaire de la brigade criminelle.
Reste que la menace du GSPC a refait irruption dans le paysage algérien, en dépit du bilan « honorable » du dernier ramadan. Affilié à al-Qaïda ou non, affaibli ou pas, le GSPC est toujours actif : il faudra faire avec. « Mais nous n’avons jamais cessé de faire avec, s’emporte notre officier supérieur. Et nous continuons. La preuve ? Les ratissages se sont poursuivis après l’entrée en vigueur de la Réconciliation nationale. Il n’a jamais été question d’arrêter la lutte antiterroriste. »

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