Le rap du ramadan

Publié le 5 novembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Le ramadan est vécu différemment selon qu’on habite en pays musulman ou en pays impie. La principale différence, me semble-t-il, c’est qu’en pays non musulman le jeûne est parfois une affirmation d’identité bien plus qu’un article de foi. Deux anecdotes peuvent servir à illustrer cela.
Il y a trois semaines, je rencontre à Amsterdam un ami d’origine maghrébine dans une galerie d’art où a lieu un vernissage. L’ami, nommons-le Adil, me dit avec un large sourire :
« C’est mon premier ramadan ! C’est super ! L’ambiance, les nuits blanches, les copains ! »
Je le congratule et l’assure de toute ma sympathie. Mais quelques minutes plus tard, je le vois croquer un petit four qu’il a cueilli d’un doigt négligent sur une table dressée dans un coin de la galerie.
« Tiens, lui dis-je, on prend des libertés avec la Loi ? On a des arrangements avec Dieu ? Je croyais que tu faisais le ramadan ? »
Il me regarde, l’air offusqué :
« Bien sûr que je fais le ramadan ! Mais quand j’ai trop faim, je mange un peu. Y a pas d’mal, non ? »
N’étant pas mufti, je m’abstiens de répondre. La deuxième anecdote se déroule le soir même dans un quartier de banlieue. Les édiles du coin, dans le but louable de rapprocher les religions, ont organisé un iftar commun et tous les catholiques, les calvinistes, les juifs, les mazdéens, les rastafaris, les animistes, les agnostiques et les athées du quartier sont invités à partager le repas de rupture du jeûne avec les musulmans. Au moment de passer à table, le maire nous sert un petit laïus qu’il conclut ainsi :
« Avant de commencer à manger, il faudrait qu’un de nos amis musulmans dise la formule ad hoc. »
Il n’a pas fini de parler qu’un jeune Marocain de la troisième génération se précipite et lui arrache le micro des mains en s’écriant :
« Moi ! Moi ! Moi ! »
Le micro à la main, le jeune homme prend une pose avantageuse, se lustre les cheveux, sourit niaisement puis il semble se raviser, fronce les sourcils et se penche vers son voisin :
« Eh, au fait, qu’est-ce que je dois dire ? »
Le voisin, qui porte une djellaba immaculée, lui souffle quelques mots tout en lui recommandant d’y mettre le ton. L’imam improvisé ne se le fait pas dire deux fois, mais le problème, c’est que le seul ton qu’il connaisse, c’est celui du rap des ghettos américains. Et voilà qu’il nous sort les deux premiers versets du noble Livre sur l’air de Kill the cop, smack my bitch. À la grande joie des rastafaris, bien sûr, mais à la grande perplexité des musulmans qui se demandent s’il n’y a pas là une innovation blâmable. Ils n’ont pas vraiment le temps de s’énerver, car le rappeur mystique, dont la connaissance du Coran est moins étendue que sa maîtrise du hip-hop, s’est assis après avoir souhaité bon appétit à tout le monde. Bah, l’important, c’est la bonne volonté et ce jeune homme en avait beaucoup. Et puis, il faut être indulgent, car entre le rap et le Coran, il a beaucoup de problèmes d’identité à résoudre

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires