Le commerce d’Ali

Publié le 5 novembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Une ville de la banlieue nord de Paris peut-elle abriter des énergies, des comportements qui se rapporteraient à l’utopie ? C’est en partant de cette réflexion que la documentariste Chantal Briet est allée à Épinay-sur-Seine, à la recherche de personnages qui pourraient démontrer par l’exemple qu’on peut répondre positivement à cette question. Elle en a vu de toutes sortes, des habitants de la cité de la Source, plus ou moins bizarres ou passionnés, qui pourraient être porteurs d’utopie. Et elle a été finalement fascinée par l’épicier du coin, Ali le Kabyle.
Elle a donc planté sa caméra pendant plusieurs mois dans sa boutique, en fait une supérette délabrée qui attend, au pied d’immeubles barres situés au milieu d’un centre commercial déserté par les autres gérants de magasins découragés par un environnement glauque, une improbable rénovation promise par la mairie depuis des années. Évidemment, Ali Zebboudj, d’une famille de musiciens et lui-même chanteur à ses heures, n’est pas un simple épicier préoccupé par l’évolution de son chiffre d’affaires. S’il pratique le commerce, c’est dans les deux sens du terme. Ses clients les plus réguliers, ce sont ces habitants de la cité qui viennent autant acheter quelques victuailles – de la nourriture pour chat ou des sucreries – que chercher un peu de chaleur humaine, du rire et de l’émotion, des voisins avec lesquels échanger quelques mots sans importance. Des vieilles femmes isolées comme Jeannine ou Mamie, qui, malgré leur grand âge, refusent de se faire livrer des provisions : elles réservent leur unique sortie quotidienne aux courses chez Ali, même si le chemin du retour est douloureux quand on habite un étage élevé d’un immeuble dont les ascenseurs sont toujours en panne. Des enfants pour lesquels, avec ses friandises, l’épicier fait figure de propriétaire de la caverne d’Ali Baba. Des chômeurs ou des handicapés qui sont plus clients de lien social que de marchandises qu’ils auraient du mal à payer.
Il n’y a pourtant aucun misérabilisme à l’écran. Aucun angélisme non plus. Ali a été plusieurs fois cambriolé et son magasin aux murs tagués ne survit que grâce à un imposant rideau de fer. Et si le tournage a eu lieu le matin, c’est parce que ceux qui auraient pu vouloir le perturber sont alors encore au lit. Mais ce que montre le film, c’est surtout des banlieues de grandes villes qui ne ressemblent pas au portrait partiel et partial qu’en font les journaux télévisés des chaînes françaises. La générosité sans bornes et le remarquable sens de l’hospitalité d’Ali y sont pour beaucoup. Mais aussi l’évidente solidarité et la qualité d’écoute dont font preuve les habitants de la cité, la force de vie qui les anime même quand ils sont en difficulté, les projets qu’ils imaginent et les espoirs qu’ils entretiennent envers et contre tout.
Avec Alimentation générale, Chantal Briet, en fin de compte, a bien rencontré une utopie. Dans une cité où, comme le dit un des personnages, « il y a le Maghreb, l’Europe de l’Est, l’Afrique de l’Ouest, le Soudan et même un Syrien », elle a découvert un lieu qui arrive à créer de l’harmonie, à célébrer l’humanité de tout un chacun à travers les petits riens de la vie quotidienne. Un commerce de proximité, invisible de l’extérieur, autour duquel tourne pourtant toute la planète.

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