Dick Cheney : un plongeon dans l’horreur

Le vice-président préconise publiquement le recours à une technique de torture séculaire pour faire parler les « islamo-fascistes ».

Publié le 5 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« Seriez-vous d’accord pour dire qu’une petite trempette dans l’eau ne pose pas de question de conscience si elle peut sauver des vies américaines ?
– Pour moi, ça ne fait aucun doute. »
Ce jeudi 26 octobre, Dick Cheney, en bras de chemise, vautré dans un confortable fauteuil de cuir, répond au micro de Scott Hennen, son vieux complice de Radio Day. Le ton est tout à la fois docte et souriant. L’auditeur de l’émission, en voiture ou dans sa cuisine, a la satisfaction de s’entendre énoncer que des « programmes d’interrogatoire robustes, sans torture », contribuent à le mettre à l’abri des attentats des « islamo-fascistes », comme monsieur le vice-président se plaît à qualifier les ennemis des États-Unis. Le commentateur enfonce le clou dans le cercueil de la démocratie : « Ne croyez-vous pas que tout ce débat sur la torture est un petit peu stupide, compte tenu de l’ampleur de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés ?
– Évidemment ! Le waterboarding est un outil très important pour rendre le pays plus sûr. Khaled Cheikh Mohamed [un cadre du réseau al-Qaïda] nous a ainsi apporté énormément d’informations précieuses. [] Il faut qu’on puisse continuer à faire ça »
Comme dans un cauchemar, d’autres images surgies de la nuit, d’autres mots, des gémissements, des gargouillements, les cris des bourreaux, font voler en éclats ce discours lénifiant. Car, en réalité, ce « service des eaux » loué par l’élu de l’Amérique est une technique de torture séculaire qui a connu divers avatars depuis son adoption par l’Inquisition, au Moyen Âge, en passant par l’Allemagne nazie, la Russie stalinienne et les « baignoires » algériennes de sinistre mémoire, jusqu’à sa consécration officielle par le numéro deux de la Maison Blanche.
Monsieur Cheney ne peut ignorer en quoi consiste « la trempette », telle que la pratique la CIA : le prisonnier est étroitement ligoté sur une table inclinée (ses convulsions risqueraient de le faire tomber), la tête légèrement plus basse que les pieds afin que ses poumons ne s’emplissent pas de liquide, ce qui signerait le ratage du supplice. On lui enveloppe la tête de cellophane et on l’arrose d’eau (plus ou moins froide, à l’initiative de l’opérateur), voire d’urine ou de déjections. La suffocation est immédiate, déclenchant la panique. Quand on le détache (après 15 secondes seulement en moyenne, le « record » tournant autour de deux minutes et demie), le prisonnier est généralement souillé de vomis et d’excréments. Il ne peut se tenir debout, tremble pendant des heures, bave, claque des dents, supplie qu’on l’épargne. Si les traces physiques de ce simulacre d’exécution deviennent rapidement indécelables, les traces psychiques, en revanche, sont durables et résistent même parfois aux traitements des psychiatres de Guantánamo ou des « sites noirs » dans les pays qui « sous-traitent » les détenus que la CIA soupçonne d’entretenir des liens avec des organisations terroristes.
Le vice-président Cheney a toujours été un chaud partisan de la légalisation de la torture. On se souvient des directives adressées en 2005 par ses collaborateurs qui donnaient « liberté d’agir aux commandants sur le terrain [d’Irak et d’Afghanistan] afin d’obtenir des renseignements » ou encore de la bataille parlementaire l’opposant, cette même année, au sénateur républicain McCain, auteur d’un amendement interdisant les traitements « cruels, inhumains ou dégradants » des prisonniers. Ni la morale élémentaire, ni la déclaration universelle des droits de l’homme, ni les conventions de Genève, avec lesquelles la nouvelle réglementation américaine est en infraction manifeste, ni les condamnations en cour martiale de militaires américains coupables d’agissements similaires au Vietnam, ni le tollé international provoqué par ses propos n’ont fait reculer Cheney d’un pouce. Pas plus que les conclusions de ses propres « experts » qui déclarent que les informations obtenues sous la torture sont notoirement inutilisables, sachant que les victimes disent n’importe quoi pour mettre fin à leurs souffrances

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