Quelle crise ?

Publié le 5 octobre 2008 Lecture : 5 minutes.

Serions-nous en train d’assister, impuissants, à la désintégration du système financier international, sans lequel les économies du monde ne peuvent fonctionner ? Certains économistes, et non des moindres, le craignent et entrevoient les faillites d’une série d’autres institutions financières en plus de celles qui ont déjà mordu la poussière.
Si cela devait advenir dans les jours et les semaines qui viennent, l’économie mondiale dans son ensemble serait gravement touchée : faute de crédit, d’argent (salaires et revenus), les entreprises et les particuliers seraient dans de mauvais draps.
Ce scénario catastrophe n’est pour le moment envisagé que comme la pire des hypothèses : c’est la menace à ne pas exclure, si les États-Unis ne parvenaient pas à éteindre rapidement l’incendie qui s’est déclaré dans ce temple mondial de la finance qu’est encore Wall Street.
Fort heureusement, en ce début d’octobre 2008, l’exécutif et le législatif américains, les gouvernements de l’Union européenne et ceux des autres grands pays semblent avoir réussi à dresser, devant les flammes, de solides pare-feu.

Mais quelle signification convient-il de donner à cette tempête financière qui s’est abattue sur les États-Unis, leur infligeant des dégâts mille fois plus importants que les ouragans Katrina, Ike, Gustav et autres qui, l’un après l’autre, avaient frappé le pays de G. W. Bush ?
S’agit-il d’une simple crise financière qui vient sanctionner la débauche de crédits immobiliers – les subprimes – inconsidérément accordés aux citoyens américains par les plus grandes banques ? Ou bien est-on pris dans un engrenage infernal qui conduit les États-Unis et le monde, inexorablement, à une crise économique majeure ?
L’onde de choc a déjà atteint l’Europe, dont le système bancaire est secoué, ainsi que le Japon et quelques autres pays, dont les Bourses donnent des signes d’affolement.
A-t-elle produit tous ses effets ? Ou bien faut-il craindre, comme après un séisme, de nouvelles répliques plus ou moins violentes ?
Quid des pays dits « émergents », comme la Chine, la Corée, l’Inde, la Malaisie, la Turquie, le Brésil, l’Afrique du Sud ? Courent-ils un risque ? Si oui, lequel ?
Et quelles seront les retombées de cette crise sur les économies fragiles des pays du Tiers Monde ?

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On le sait, un nouvel ordre économique mondial s’est édifié depuis la chute du communisme, en 1990 ; très vite il s’est installé sur les cinq continents. Fondé sur l’économie de marché, il a consacré une circulation plus libre – dérégulée – des capitaux et des biens, la toute-puissance des multinationales, le triomphe de l’entreprise privée et une quasi-extinction du secteur public. Bref, il a scellé la mondialisation et la libéralisation des économies de la plupart des pays.
La crise a au moins le mérite de nous contraindre à nous interroger : ce système a-t-il en moins de vingt ans perdu son utilité ? Sa nature « débridée » ne devait-elle pas, fatalement, déclencher la crise ? Peut-on le réformer ? Ou bien faut-il chercher à le modifier, voire à le remplacer ?
Il est trop tôt pour répondre à ces questions, mais la remise en cause du libéralisme économique a déjà commencé.
L’économiste et historien français Nicolas Baverez nous l’annonce : « Le capitalisme sortira profondément transformé de cette crise : priorité à la sécurité sur le risque, avec une diminution de la croissance potentielle ; rééquilibrage entre l’État et le marché ; retour en grâce de l’industrie au détriment de la finance ; changement du modèle économique des banques avec une concentration des acteurs et un recentrage sur la banque commerciale ; déclin relatif des pays développés – notamment des États-Unis – et accélération du passage à un système économique multipolaire. »

Je voudrais maintenant revenir aux péripéties actuelles de la crise pour avancer quelques observations :
1. Une fois de plus, les économistes, les financiers et les politiques chargés de prévenir les dérapages et, lorsqu’ils surviennent, de les circonscrire, n’ont rien vu venir : les explications qu’ils donnent ne font qu’ajouter à la confusion et les remèdes qu’ils prescrivent n’inspirent pas confiance tant ils sentent l’improvisation. C’est un miracle qu’ils soient parvenus, dans ces conditions, à limiter les dégâts.
2. Les événements se succèdent à un tel rythme qu’ils prennent la forme d’une avalanche. Ne disposant pas toujours des compétences humaines nécessaires, les médias censés nous les expliquer et en évaluer l’importance ont du mal à tenir la cadence : le citoyen moyen a donc l’impression d’être largué
3. La crise assombrit un peu plus la fin du règne chaotique de G.W. Bush, et l’on frémit à la perspective, pas encore écartée, de voir John McCain lui succéder*.
4. En attendant, comme si de rien n’était, campagne électorale oblige, les deux candidats à la présidence des États-Unis se battent pour savoir qui proposera les plus fortes réductions d’impôts et qui soutiendra les investissements les plus généreux pour doter le pays des meilleures écoles, des hôpitaux les mieux équipés, de nouveaux ponts, etc.
Promesses rendues parfaitement vaines par la crise, car la prochaine administration américaine devra consacrer la plus grande partie de son temps et de son énergie à chercher quels impôts elle peut augmenter et quelles économies elle peut faire pour éviter la banqueroute de l’État fédéral.

Il est normal, au beau milieu d’une crise, que prévalent, à chaud, les commentaires pessimistes. Mais il ne faut pas exclure que cette crise, même si elle est d’une ampleur sans précédent depuis près d’un siècle, soit absorbée en peu d’années par le capitalisme américain. Il a montré, à plusieurs reprises, qu’il a du ressort et du répondant, sait avaler potions amères et purges pour sortir renforcé par l’épreuve
Cela dit, même dans ce cas favorable, Wall Street ne sera plus le Wall Street triomphant de la fin du XXe siècle. Ayant perdu quelques-uns de ses plus grands noms (voir graphique page précédente) et beaucoup de sa superbe, le monde bancaire ne sera plus ce qu’il a été.
La nomenklatura du monde des affaires va être bouleversée, ainsi que le classement économique des pays.

Une grande crise est à l’économie ce qu’une révolution est à la politique : à son terme, lorsque la poussière est retombée, on découvre un paysage renouvelé.
Des hommes, des femmes et des institutions ont disparu de la scène, d’autres y ont fait leur entrée

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[Lire en pp. 61-69 le cahier spécial consacré à la crise et à ses conséquences sur l’Afrique]

* Notre confrère Nicholas Kristof du New York Times a écrit de McCain qu’il est « impulsif, impétueux et impatient », qualificatifs fâcheux et inquiétants pour un éventuel commandant en chef de la plus puissante armée du monde.

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