Mehdi Houas

Fondateur de Talan, une société française de services informatiques qui emploie 300 personnes, il a longtemps eu du mal à accepter sa double nationalité franco-tunisienne !

Publié le 5 octobre 2008 Lecture : 5 minutes.

Partout où il est passé, Mehdi Houas a toujours été premier de sa classe. C’était déjà le cas à l’école primaire, à Marseille, même si Mme Mistral, son institutrice de CE1, avait une manière assez particulière de l’annoncer à la classe éberluée : « Vous n’avez pas honte ? C’est le sale Arabe qui a les meilleures notes ! »
Vingt ans plus tard, notre petit génie des mathématiques participe, après un an de formation, au concours interne organisé par le géant informatique IBM. Et réalise un score exceptionnel : personne n’avait jamais fait mieux ! Cet exploit aurait dû lui offrir sur un plateau un poste prestigieux. « Je me voyais déjà prendre la présidence », plaisante-t-il aujourd’hui. Il lui faut déchanter. « Avec un nom comme le vôtre, ça ne sera pas possible ! » tranche son supérieur hiérarchique. Ulcéré, Mehdi Houas claque la porte d’IBM.

À l’approche de la cinquantaine, l’excellence reste sa marque de fabrique. Talan, la société de services informatiques qu’il a créée en 2002 avec deux anciens collègues d’IBM, est un important prestataire français du secteur. Parmi ses clients : de grandes banques (Société générale, BNP Paribas), des opérateurs de téléphonie mobile (Orange, Bouygues, SFR) et bien d’autres. La société possède des bureaux à Paris, Londres, Bruxelles, New York, Hong Kong, Dubaï et Tokyo. Et elle est très en pointe sur le « créneau », il est vrai très à la mode, de la « diversité ». Dans ses locaux, à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris, un planisphère est affiché dans l’entrée. Vingt-sept petits drapeaux y sont plantés à l’emplacement des pays d’où sont originaires ses 300 employés – les « talan’s », comme ils se surnomment.
Quant à la direction, elle est constituée d’un Juif, Éric Benamou, d’un Basque, Philippe Cassoula, et donc d’un Tunisien. Leur amitié, disent-ils, « a résisté à deux guerres du Golfe et deux Intifada ». D’ailleurs, tous en sont convaincus, le mélange des cultures est un atout dans les affaires. Chaque été, pour les remercier de leur travail, Mehdi emmène ses « talan’s boys » dans son pays d’origine. Cette année, tous se sont rendus à Tozeur. Ne croyez pourtant pas que l’inséparable trio n’a jamais connu l’échec. Dans les années 1990, la création de deux sociétés baptisées Telease et Valoris tourna court. « On s’ennuyait », avouent-ils. Alors, au plus fort de la crise Internet, ils parièrent sur l’essor des nouvelles technologies
Dernier d’une famille de six enfants, Mehdi Houas a vu le jour en 1959 à Marseille. Par le plus grand des hasards. « J’aurais pu naître n’importe où, ma nationalité aurait toujours été tunisienne », dit-il.

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Deux ans auparavant, Béchir, son père, s’était fâché avec Habib Bourguiba, le père de l’indépendance tunisienne, aux côtés duquel il avait pourtant combattu : il ne supportait plus les incessantes querelles au sein du parti au pouvoir. Ce qui l’avait conduit à s’installer de l’autre côté de la Méditerranée. « C’était un homme de principes, admire son fils. Il boudait. Quand on partait en vacances à Tunis, il restait en France en prétextant des travaux à faire dans l’appartement. »
Travaillant dans la marine marchande, Béchir enchaîne les missions de trois mois pour payer aux siens un appartement dans le centre de Marseille et permettre à ses enfants de fréquenter les meilleures écoles. « Il voulait faire de nous une élite pour reconstruire la Tunisie. Nous étions sa deuxième guerre d’indépendance ! »
Son histoire, Mehdi a eu l’occasion de la conter à Brice Hortefeux, le ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, lors d’un dîner au Club XXIe siècle, un lobby qui s’attache à promouvoir l’égalité des chances. Le ministre s’était auparavant indigné du niveau de français plus que médiocre de certains immigrés. « Je lui ai répondu fièrement que mon père était illettré, que ma mère n’avait jamais appris le français, mais que l’un et l’autre m’avaient quand même beaucoup apporté ! »
Dans la famille Houas, on est passé en une génération de l’analphabétisme à bac + 5. Pour Mehdi, le bac lui-même n’a été qu’une formalité, expédiée avec la mention bien, même si, naturellement, il visait encore mieux. « J’ai raté la mention très bien à cause de la philo, se souvient-il. Mon père a été très déçu, mais bon, c’est du passé. »
En maths sup, Mehdi prépare le concours de Polytechnique, la plus prestigieuse des grandes écoles françaises. Sûr d’être de nationalité tunisienne, il s’inscrit en tant qu’étudiant étranger. Juste avant le début des épreuves, les surveillants lui apprennent que, conformément à la loi, il est automatiquement devenu français le jour de sa majorité. Résultat : on lui interdit l’entrée de la salle d’examen. Le jeune homme proteste, jure qu’il s’agit d’une erreur, puis, de guerre lasse, se résigne à intégrer une autre école d’ingénieurs, où, comme d’habitude, il se distingue par l’excellence de ses résultats.

Ses professeurs l’encouragent à poursuivre ses études à l’université californienne de San Diego. Ils arrangent tout, sauf la bourse destinée à financer le voyage. Confiant, l’étudiant se rend à Tunis, convaincu que les autorités ne pourront refuser cette faveur au fils d’un ancien combattant. Hélas ! celles-ci préféreraient le voir rentrer immédiatement : le pays a le plus urgent besoin d’ingénieurs, pas d’une ribambelle de surdiplômés, lui répond-on. La bourse lui est refusée. Alors, comme son père avant lui, Mehdi boude. Sa décision est prise : jamais il ne travaillera en Tunisie.
De retour en France, il est recruté par Alcatel, l’équipementier télécom, puis, on l’a vu, préfère finalement rejoindre IBM. Pour travailler, Mehdi est convaincu d’avoir besoin d’un permis. Il en fait la demande à la préfecture de Paris et reçoit la même réponse que naguère à Polytechnique : né en France, il est français et n’a nul besoin d’un permis de travail. Cela l’agace beaucoup, mais il se résout à demander une carte d’identité nationale, que bien entendu il obtient.
Aujourd’hui encore, le seul avantage qu’il reconnaît au fait d’être français, c’est de lui permettre de regarder les agents de police dans les yeux. Encore qu’aucun d’eux ne lui a jamais demandé ses papiers dans la rue ! Mehdi a toujours caché à son père, décédé en 1987, sa double nationalité : « Ça lui aurait fait trop de mal. Il n’était pas antifrançais, mais il s’est battu toute sa vie pour la Tunisie. »
En son hommage, Mehdi a donné le prénom de son papa à l’un de ses fils. Pour qu’à l’école, dans le très chic 7e arrondissement de Paris, le petit Béchir soit fier de s’appeler Houas. Surtout lorsqu’il obtient les meilleures notes de sa classe.

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