Abderraouf el-Basti, un rôle taillé sur mesure

Homme de lettres féru de poésie et de théâtre, le nouveau ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine se sait très attendu. Portrait.

Publié le 5 octobre 2008 Lecture : 4 minutes.

C’est bien connu, pour mériter sa place dans un ministère de la Culture, il faut être cultivé. Et pour plaire au milieu des arts et des lettres, mieux vaut en faire partie. Ayant l’assurance d’avoir affaire à la personne idoine, les milieux culturels tunisois ont donc unanimement salué l’arrivée du nouveau ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, Abderraouf el-Basti, nommé à la faveur du remaniement ministériel du 29 août dernier.
« Retour de l’enfant prodigue », « L’homme de la situation », « Un signe d’écoute et de compréhension de la part des autorités », les réactions positives n’ont pas cessé. Ni surpris. Le nom de Basti circule depuis des années chaque fois qu’il s’agit de pourvoir ledit poste. Et pour cause. Ce Tunisois « du fond de la jarre » – pour dire de souche, en dialecte local – connaît bien les arcanes de la maison de la Kasbah. Depuis le début des années 1970, aucune manifestation culturelle n’aura échappé à cet amoureux des arts et des lettres qui a taquiné la Muse et s’est essayé à l’écriture dramaturgique et au doublage de voix au cinéma. « Quelle économie de temps, se félicite l’acteur Raouf Ben Amor. Basti n’a pas besoin qu’on le conseille, il sait exactement ce qu’il a à faire. » À preuve, trois jours à peine après sa nomination, le cabinet de Monsieur le Ministre s’ouvrait aux doléances des auteurs et artistes. Lesquels, d’après les premiers échos, en sont sortis satisfaits.

Innovation et audace
Ancien élève du collège Sadiki, titulaire d’une maîtrise en langue et littérature arabes, ce père de quatre enfants qui porte beau la soixantaine a débuté sa carrière en 1970 comme professeur puis directeur d’études au centre d’art dramatique de Tunis. En 1973, il devient le « Monsieur Théâtre » du ministère de la Culture. Il retrouve alors d’anciens camarades, comme Mohamed Driss, actuel directeur du Théâtre national, Raja Farhat, homme de culture et de communication, ou l’écrivain Tahar Guiga. Nommé directeur des festivals internationaux de Hammamet (1977) et de Carthage (1978), il fait montre d’innovation. C’est lui qui programmera, en ouverture du Festival de Hammamet, la pièce engagée L’Instruction, montée par la troupe du Nouveau Théâtre. C’est également lui qui fera venir pour la première fois à Carthage, en 1978, le chanteur égyptien Sayed Mekkawi.
Son passage à la tête de la radiotélévision nationale (1979-1981) est tout aussi remarqué : grandes émissions littéraires, débats contradictoires, soirées de théâtre contemporain, dont la fameuse pièce Ghassalit al-Nouadir, du même Nouveau Théâtre, qui ne manquera pas de provoquer des remous. D’aucuns apprécient son ambition d’injecter des idées et du sang neufs dans ce « grand machin » sclérosé par les lourdeurs administratives, le manque d’argent et le respect de la ligne éditoriale.
C’est tout naturellement qu’il est nommé, en 1981, responsable des programmes à l’Union des radios et télévisions arabes (Asbu), organe de coordination des médias officiels des pays de la Ligue. Il initie les échanges entre les chaînes arabes et se taille une réputation d’homme intègre auprès de ses pairs. Résultat : il devient, en 1989, directeur général de l’Asbu et se succédera à lui-même à deux reprises.
Après un court passage à Beyrouth en tant qu’ambassadeur, il est rappelé à Tunis en 2000 pour reprendre les rênes de l’Établissement de la radiodiffusion télévision tunisienne (ERTT). Il persiste et signe, choisit une fois encore de privilégier l’audace et lance l’idée de coproduction entre le petit écran et l’industrie cinématographique. C’est le « printemps » des producteurs de longs-métrages et de séries documentaires. Un printemps de courte durée : en 2002, Basti doit céder son siège. C’est le début d’une traversée du désert qu’il mettra à profit en adaptant au théâtre un texte d’Al-Jahiz, Al-Tarbi wat Tadwir, mis en scène par Ezzeddine Madani. « Je pense que ce fut une belle période pour lui, estime la journaliste Racha Tounsi. Pour une fois, il s’adonnait entièrement à ce qu’il aimait le plus : écrire pour le théâtre. »
Mais Basti devra taire à nouveau sa passion première pour renouer avec sa carrière publique, revenant à la diplomatie. Il est ainsi nommé ambassadeur à Amman, où il séduit les politiques et l’intelligentsia, mais aussi le petit peuple, qu’il impressionne par sa mise locale, djebba et souliers assortis. Puis, fort de cette expérience durant laquelle il a approfondi sa connaissance des dossiers du Moyen-Orient, il se voit proposer, en 2007, le poste de secrétaire d’État chargé des Affaires maghrébines, arabes et africaines. « De l’avis des familiers des arcanes de la Ligue arabe, avance l’un de ses proches, Basti fut une voix écoutée, celle d’une Tunisie sereine et raisonnable. »
Sa nomination à la tête de la Culture est une sorte de couronnement. Aucune chance cependant que la fonction lui tourne la tête. Expérimenté et à l’écoute, il ne peut abandonner le camp des créateurs sans se renier lui-même. Mais s’il présente l’avantage de susciter beaucoup d’espoirs chez ses amis, il court le risque de ne pas pouvoir les combler tous. Il y a fort à parier qu’il ne s’attardera pas sur ses détracteurs. Selon ses proches, si d’aventure il affrontait une cabale, en homme du système et en adepte du compromis, il ne rendrait compte qu’au président Zine el-Abidine Ben Ali, à qui il a toujours voué une grande admiration. D’ailleurs, le 7 novembre de chaque année, en collaboration avec le cinéaste Abdellatif Ben Ammar, il a coutume de présenter un film documentaire sur l’action accomplie par le régime, « avec cette touche littéraire élégante qui est la marque du professeur Basti », précise l’un de ses admirateurs…

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