Tokyo 1945-Bagdad 2003

Publié le 5 août 2007 Lecture : 2 minutes.

L’occupation américaine du Japon, entre 1945 et 1952, est souvent présentée comme le modèle de ce qu’il faudrait faire en Irak. Les responsables américains de l’époque se sont sérieusement interrogés sur la manière de procéder dans ce pays qu’ils connaissaient mal, dont ils ne parlaient pas la langue, qu’ils avaient combattu pendant quatre ans et qui n’était plus que ruines.
L’universitaire Shoichi Koseki a raconté comment les Américains s’étaient préparés à occuper le Japon avant même la fin de la guerre. Dès 1944, par exemple, plus de 1 500 administrateurs civils et militaires avaient suivi six mois de cours accélérés dans les meilleures universités américaines. Ils avaient travaillé avec des professeurs formés dans des écoles japonaises, étudié non seulement la politique et l’économie, mais aussi la langue et le fonctionnement des administrations locales et du système éducatif.
De son côté, le ministère de la Guerre avait soigneusement visionné le cinéma japonais d’avant-guerre. Quelques semaines après le début de l’occupation, des responsables américains réfléchissaient avec des scénaristes et des réalisateurs locaux au rôle du cinéma dans la reconstruction. C’était certes une autre époque et un autre pays, mais les Japonais étaient au moins aussi étrangers aux Américains que les Irakiens aujourd’hui. Et que les Afghans aux Occidentaux qui prétendent les aider à reconstruire leur pays. Il serait naïf de croire que les Japonais, des hommes fiers, raffinés, mais sous-alimentés et moralement brisés à la fin de la guerre, ont accepté de bonne grâce l’occupation de leur pays par des GI’s jeunes, bien nourris et sûrs d’eux-mêmes. Et pourtant, l’occupation a été une réussite exceptionnelle, en partie parce que les Américains sont partis de l’hypothèse que le savoir et la culture étaient la base de tout.
L’an dernier, lors d’un voyage à Kaboul, mes collègues et moi-même avons constaté que la pension de famille où nous étions logés était branchée sur la télévision par satellite et recevait de très nombreux programmes, pour la plupart pornographiques. Quel cadeau pour les talibans !
Rien à voir avec la pudibonderie. Dans la reconstruction d’un pays comme dans la vie, l’image compte. Se montrer insensible à la subtilité des symboles et des valeurs des autres est une erreur stratégique impardonnable. Le général MacArthur était parfaitement conscient de la nécessité de respecter la dignité des vaincus. Il s’en faisait un devoir jusque dans sa façon de s’habiller. Il savait que se soumettre à l’obsession des Japonais pour la propreté serait du meilleur effet pour son prestige et sa politique.
Il y a quelques semaines, lors d’une réunion de spécialistes de l’héritage culturel de l’Asie, un Afghan nous a rappelé d’une voix douce la devise qui figure à l’entrée du musée de Kaboul : « La vie d’un pays, c’est la vie de sa culture. »
Cette formule simple devrait être le mantra de tous ceux qui aspirent à reconstruire des pays.

* Directeur pour l’Asie et le Pacifique de l’Institut pour la formation et la recherche, qui dépend des Nations unies.

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