L’Empire ottoman démembré

Publié le 5 août 2007 Lecture : 3 minutes.

Moustache blanche, costume à l’occidentale et fez sur la tête, Damat Ferit Pacha, l’un des derniers grands vizirs du sultan Vahdeddin (Mehmet VI), appose sa signature sur le traité de paix que les Alliés imposent à l’Empire ottoman. Nous sommes le 10 août 1920, la Première Guerre mondiale est finie depuis près de deux ans, mais son règlement dans les Balkans et en Orient fait encore l’objet d’âpres négociations. Ralliées à la Grande-Bretagne et à la France durant le conflit, l’Italie et la Grèce nourrissent en effet des ambitions contradictoires, au point que la cérémonie de la signature a dû être reportée plusieurs fois.
Il est 13 heures à Istanbul et, en cinq minutes, cinq siècles d’Histoire sont rayés d’un trait de plume. Cinq siècles d’une histoire grandiose qui a vu Mehmet II le Conquérant s’emparer de Constantinople (1453), puis l’empire de Soliman le Magnifique atteindre (au XVIe siècle) son apogée territoriale et culturelle avant de décliner, miné par les aspirations à l’indépendance de peuples longtemps placés sous son joug. Jusqu’à ce jour fatidique où le gouvernement ultranationaliste jeune-turc et un sultan affaibli ont fait le mauvais choix en se rangeant au côté de l’Allemagne dans le premier conflit mondial. Dans le camp des vaincus.

Pendant que Ferit Pacha s’exécute, dans les locaux de la célèbre manufacture de porcelaine de Sèvres, près de Paris, les représentants français et britanniques scrutent le vieil homme, mal à l’aise. Raymond Poincaré, alors président de la République française, comparera plus tard la cérémonie à un enterrement : « Elle a eu lieu enfin, dans une atmosphère pleine de lassitude et sans entrain, ce qui conduisit quelqu’un parmi les observateurs attentifs à parler de mélancolie, comme si elle illustrait la perte sensible d’influence de la France en Orient. »
En un instant – et 433 articles -, les vainqueurs entérinent la mort de l’empire des sultans pour façonner un empire d’opérette limité à la Turquie et situé entre Istanbul et Sivas, la mer Noire et Kayseri. Les détroits passent sous contrôle international, l’armée turque est réduite à 50 000 hommes, le système des capitulations est étendu et des experts internationaux sont chargés des finances ottomanes.
Les pertes territoriales sont énormes : l’empire passe de 3 millions de km2 à 300 000 km2. Côté occidental, la Grèce s’empare de la Thrace, des îles de la mer Égée et de Smyrne (Izmir). L’Italie hérite du Dodécanèse et de Rhodes. Les provinces arabes tombent dans l’escarcelle de la France (Syrie et Cilicie) et de la Grande-Bretagne (mandats sur la Palestine et l’Irak). Une Arménie et un Kurdistan indépendants sont censés voir le jour sur le sol turc (restées lettre morte, ces clauses continuent, aujourd’hui encore, de hanter l’armée et les milieux les plus nationalistes).

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Mais ce traité de Sèvres, à peine signé, est aussi fragile que la porcelaine du même nom. Si le sultan et son gouvernement se résignent, la presse stambouliote, elle, se déchaîne : tous les journaux paraissent bordés de noir en signe de deuil. Surtout, les nationalistes menés par le général Mustafa Kemal, le héros de la bataille des Dardanelles (1915), passent à l’action. Décidés à ne pas céder les régions où la population turque est majoritaire, ils organisent un mouvement de résistance en Anatolie centrale et déclenchent une guerre contre la Grèce. Leur succès, sous la conduite de Kemal devenu le Gazi (« le Victorieux »), puis Atatürk (« le père des Turcs »), permettra d’obtenir la révision du traité de Sèvres. Avec le traité de Lausanne, en 1923, la patrie de Mustafa Kemal récupère toute l’Asie mineure et la Thrace orientale et peut, surtout, écrire une nouvelle page de son histoire. La Turquie moderne, républicaine et laïque est née.

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