Douglas Stone, nouveau prophète de l’islam

Publié le 5 août 2007 Lecture : 3 minutes.

Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Tout le monde le sait et le major-général Douglas Stone également. Alors, qu’est-ce qui prend à ce gradé de l’armée américaine, commandant des camps de prisonniers en Irak, de vouloir, lui aussi, ajouter quelques dalles sur la voie de la Géhenne ?
C’est la réflexion qu’on se fait en apprenant qu’il lit le Coran chaque matin – ce qui est son droit -, mais surtout qu’il entend que les détenus, dont certains forment un noyau dur de militants extrémistes, le lisent comme lui, c’est-à-dire autant que possible. Tous les jours que Dieu fait.
Étrange : c’est un peu comme si on incitait un alcoolique à boire au réveil une bouteille de vodka pour le guérir de son addiction. Ne serait-il pas plus judicieux de leur faire lire Socrate, al-Ma’ari, Voltaire, les discours d’Atatürk et les uvres complètes d’Alphonse Allais pour les guérir de leur fanatisme religieux ?

Stone voit les choses autrement : si ces jeunes gens lisent eux-mêmes le Coran, ils en comprendront le « vrai sens » et se détourneront ainsi du jihad. Cela suppose trois choses : qu’ils ne l’aient pas encore lu, que le Coran ait un « vrai sens » accessible à l’homme, et qu’ils soient intellectuellement équipés pour le découvrir tout seuls, comme des grands. Trois hypothèses hautement improbables.
L’ami Douglas n’est pourtant pas un idiot. Cet homme d’action, chrétien pratiquant, parle couramment l’ourdou et possède un doctorat en sciences politiques. Il parle de réinsertion, d’ateliers éducatifs – y compris pour les six cents mineurs en détention provisoire – et même de « modules socio-affectifs » – entendez que certains détenus peuvent recevoir des visites de leur famille dans des lieux ad hoc. Il a aussi lancé la construction d’une briqueterie. Une usine de fabrication de textile est dans les cartons. Le seul endroit de l’Irak où l’on travaille en toute sécurité, ce sera bientôt sa prison.
Il est cependant difficile d’ironiser sur tous ces projets quand on pense à ce que d’autres Américains ont fait à Abou Ghraib. Là, la réinsertion se faisait à coups de trique, d’humiliation, de morsures de chiens et de gégène. Par contraste, on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine sympathie pour le général humaniste.

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C’est pourquoi il faut souhaiter qu’il s’entoure vite de spécialistes de l’islam. Ceux-ci lui apprendront qu’il y a eu dans l’histoire de la religion de Mohammed une bonne centaine d’hérésies, plus ou moins farfelues. Les plus connues ont donné les kharijites, les chiites septimains ou duodécimains, les ismaéliens, les ibadites, les druzes, les alévites de Turquie, les naziris, les babistes (si, si), les baha’is, les ahmadis du Pakistan, les adeptes du Vieux de la Montagne, etc.
Et toutes ces sectes et subdivisions ont commencé de la même façon : un bonhomme ou des jeunes gens qui « lisaient eux-mêmes le Coran » et qui croyaient en comprendre le « vrai sens ». D’où leur conviction qu’eux seuls connaissaient la vérité et qu’à part eux le reste du monde était peuplé de sombres idiots qu’il fallait soit convertir soit passer par le fil de l’épée. On n’en sort pas : la guerre, toujours la guerre.
Douglas Stone ferait mieux d’inciter ces prisonniers à faire du sport pour s’aérer l’esprit au lieu de se lancer dans l’herméneutique du Coran. À moins qu’il ne veuille devenir un nouveau prophète, un Vieux de la Montagne en treillis et en bottes militaires ? The Old Man in the Mountain, un joli titre de roman, pas forcément un titre de gloire pour un général de l’armée américaine.

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