Un Grand Pardon à l’algérienne ?
En ces temps de débat sur le projet d’amnistie générale, le terme « pardon » est plutôt à la mode en Algérie. Pour peu qu’on lui ajoute l’épithète « grand », le pays pourrait se réconcilier avec « ses » juifs. Dimanche 22 mai, l’aéroport international de Tlemcen a vu atterrir un drôle de vol charter. À son bord, 133 Français d’Algérie de confession juive venus en pèlerinage sur la tombe du rabbin Ephraïm Nkaoua, mort à Tlemcen en 1442. L’histoire de ce religieux andalou fuyant la persécution chrétienne en Espagne après la Reconquista est truffée de légendes et de miracles. Pour avoir guéri la fille du sultan Ibn Tachfine, il avait acquis le droit de s’établir dans la capitale des Zianides, d’y construire une synagogue et d’être le guide spirituel de sa communauté.
Comme pour tous les pèlerinages juifs, celui de la hailoula – ce terme est entré dans le vocabulaire algérien pour désigner les cérémonies à la fois fastes et populaires – a lieu lors de Lag Bar Omer, les quarante jours suivant la Pâque. La hailoula a cessé d’être fêtée en 1956, quelques mois après le déclenchement de la lutte de libération. André Charbit, organisateur du voyage, assure que la décision a été prise « en solidarité avec la communauté musulmane qui se trouvait en pleine guerre ». Toujours est-il que la hailoula n’a pu être organisée à nouveau qu’en mai 1967. Quelques jours plus tard éclatait la guerre des Six-Jours, creusant davantage le fossé entre les Algériens musulmans et leurs « compatriotes » juifs. Il aura donc fallu près de quarante ans pour que le tombeau du rabbin Nkaoua reçoive de nouveau des pèlerins.
Le rituel s’est passé dans de bonnes conditions, et la plupart des 133 visiteurs ont retrouvé, avec émotion, qui sa maison, qui son ami d’enfance. Hasard du calendrier, l’ancien président Ahmed Ben Bella, chantre du nationalisme arabe pointu, se trouvait à Tlemcen à l’arrivée de la délégation. Il ne s’est pas privé de leur souhaiter la bienvenue chez eux, « du fond du coeur ».
L’Algérien est-il prêt à retrouver son frère juif qu’il assimile, sans nuance aucune, à l’Israélien Ariel Sharon ? Trop tôt, semble-t-il. Les fellaghas d’hier n’ont pas pardonné à la grande majorité de leurs voisins juifs d’avoir pris le parti des colons. Oubliés ceux d’entre eux ayant soutenu le FLN, passés par pertes et profits les membres de cette communauté morts sous la torture des paras de Bigeard. Le chanteur Enrico Macias n’a pu revenir dans sa ville natale, Constantine, malgré une invitation adressée par le président Bouteflika. Ce dernier a provoqué une polémique pour avoir serré la main d’Ehoud Barak, lors des obsèques de feu Hassan II en juillet 2000, puis celle de Shimon Pérès et celle du président Katsav, à Rome, lors des funérailles de Jean-Paul II. Il est des gestes difficiles à accomplir en Algérie. Même quand on est président de la République.
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