Sur la piste des faussaires

Le procès intenté à Paris contre les trafiquants de faux francs CFA connaîtra son épilogue le 21 juin. Partie de Slovénie, cette vaste escroquerie a fait de nombreuses victimes à Dakar, Bamako, Lomé, Cotonou et Abidjan.

Publié le 5 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

« Tous les animateurs du réseau ont été identifiés et écroués. Seules quelques personnes bénéficiant de solides protections n’ont pu être arrêtées », selon Charles Konan Banny, gouverneur de la BCEAO. Les huit personnes jugées par la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris – qui rendra son verdict le 21 juin – n’en font pas partie et risquent jusqu’à dix ans de prison ferme. Pour appartenance à un vaste trafic de fausses coupures qui porte sur plus de 50 milliards de F CFA (76 millions d’euros). Un trafic parti de Slovénie, qui transite par Paris et Bruxelles avant d’atterrir à Dakar, Abidjan, Bamako ou Cotonou…
Tout commence début avril 2002, quand deux Sénégalais sont arrêtés à Dakar en possession de fausses coupures de billets de 10 000 F CFA : l’argent que des pensionnaires du foyer Sonacotra du 14e arrondissement de Paris leur ont demandé de remettre à des parents au pays. L’affaire est assez grave pour que la police locale alerte aussitôt l’Office central pour la répression du faux monnayage en France. Des coupures du genre ont déjà été saisies dans des pays voisins. D’abord à Cotonou (Bénin), le 23 mars 2002. Puis trois jours plus tard à Lomé, où 1 852 billets sont retrouvés lors d’un versement de la banque Ecobank au siège national de la Banque centrale. Arrêté, un ressortissant libanais avoue avoir envoyé 52 millions de F CFA au Bénin… Encore des faux billets.
À Paris, la police mène son enquête et rend visite aux locataires du foyer Sonacotra. Ils ne sont guère surpris : « Les familles de Dakar les avaient déjà informés de l’interpellation de leurs amis », explique Me Jean-François Dantec, avocat d’un groupe de 21 victimes qui livrent le nom de leur fournisseur : Marie-Chantal Diallo, d’origine ivoirienne. Contre de vrais euros, elle leur donne des billets de 10 000 F CFA « afin d’éviter, dit-elle, les commissions de bureaux de change ou de Western Union ». Le change marche d’autant mieux que, « pour réussir son coup, ajoute Me Dantec, elle fait même vérifier quelques billets par l’un des pensionnaires, qui possède un détecteur de fausse monnaie. Les billets semblent vrais. » Au total, ce sont 86,5 millions de FCFA (132 000 euros) que les victimes ont perdus dans l’aventure.
L’interpellation de Marie-Chantal Diallo est vite préparée : un rendez-vous au foyer pour une transaction plus importante. Le 18 avril 2002, elle est prise la main dans le sac alors qu’elle s’apprête à changer cinq cents faux billets de 10 000 F CFA. Rapidement, elle se met à table et dénonce son fournisseur, un Béninois du nom de Salomon Emmanuel, arrêté à Paris quelques jours plus tard. À lui seul, il a écoulé 500 millions de F CFA. Il recevait les faux billets d’un Turc, Ahmet Ostürk, basé en Belgique. Ce dernier est interpellé à son tour à Bruxelles en compagnie de quatorze complices présumés. Marie-Chantal Diallo et Salomon Emmanuel se sont connus au cours d’une réception chez un ami commun, Amadou Bello, homme d’affaires camerounais qui habite le 16e arrondissement de Paris. Lui aussi se retrouve dans le box des accusés.
L’une des victimes est aujourd’hui un homme abattu : la barbe grisonnante, une écharpe noir et blanc autour du cou, Mamadou Diallo, 60 ans, a assisté aux trois audiences présidées par le juge Thierry Devernoix de Bonnefon. Autrefois adulé et respecté, le « vieux » Diallo n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a perdu toute crédibilité, lui qui croyait bien faire. Mars 2002, le foyer Diderot, dans le 12e arrondissement de Paris, est démarché par Silimakan Traoré, malien et père de sept enfants. Il est accompagné d’Abdou Aziz N’Diaye, un Sénégalais. Ils font croire qu’« un ministre malien de passage à Paris souhaite échanger des francs CFA contre des euros pour des achats dans le cadre des élections au Mali ». Le démarcheur n’est pas inconnu des locataires du foyer, et un scrutin se tiendra en effet le 28 avril dans le pays. Les résidents du foyer se laissent donc convaincre de rassembler leurs économies. Le « vieux » Diallo est chargé de récupérer l’argent pour le remettre à Traoré. Au bout de huit visites, celui-ci récoltera 73 millions de F CFA.
Mais la filière parisienne n’est qu’une ramification internationale. Le 6 mai 2002, à Abidjan, Bakary Lansina, directeur pour la Côte d’Ivoire de la BCEAO, révèle que « 100 millions de fausses coupures de 10 000 F CFA ont été récupérées par les agences centrales des huit États membres depuis le 23 mars ». À la mi-janvier 2003, la police belge saisit à Bruxelles 400 000 F CFA de faux billets. Quinze suspects sont arrêtés puis relâchés en attendant leur procès. Une Américaine, des Français, plusieurs Belges, des Turcs, des Congolais, dont un neveu de Mobutu et même l’ancien ministre Willy Mishiki, l’ex-roi du Kivu ! Fin septembre 2002, l’équipe du juge bruxellois Jacques Pignolet est informée d’un tête-à-tête animé à la terrasse de l’hôtel Métropole, place de Brouckère à Bruxelles. Des clients pas trop discrets s’échangent une mallette. À l’intérieur, des liasses de billets. Des dollars, des francs CFA… Tous faux… mais d’une excellente qualité. La police fédérale va finir par identifier l’imprimeur : Interprint-Doo, en Slovénie. Au cours de l’été 2003, elle se rend à Ljubljana où elle saisit des matrices utilisées pour l’impression des faux 400 000 F CFA de Bruxelles. En réalité, Interprint-Doo en a imprimé 300 millions sur du vrai papier sécurisé dérobé de la Banque nationale slovène.
La police belge découvre également que, pour justifier la fabrication en Slovénie d’une monnaie qui circule en Afrique, les faussaires utilisent des bons de commande provenant de la BCEAO – « ils sont faux », s’insurge un représentant de l’institution convoqué à Bruxelles. En tout cas, il ne fait aucun doute pour les Belges que les billets étaient fabriqués à la demande d’un homme d’affaires turc, Ahmet Bulent Hazer, propriétaire à Istanbul de la Foreign Trade International Printing Company, une imprimerie. La justice belge demande à le rencontrer. Les Turcs acceptent que l’homme soit entendu par la justice belge, avant de se raviser et d’annoncer, le 17 août, qu’ils l’interrogeront eux-mêmes. Il est vrai qu’Ahmet Bulent Hazer est bien connu de leurs services. D’après le quotidien Turkish Daily News, c’est lui, dans les années 1990, qui imprimait la livre turque, avant d’être accusé par la police d’Istanbul, fin 1996, d’avoir fait imprimer de faux billets de 100 dollars pour les rebelles tchétchènes. Le voici mêlé à un trafic dont les Belges pensent qu’il a notamment « servi à financer des conflits armés en Afrique. Dont la rébellion qui a éclaté en septembre 2002 en Côte d’Ivoire ». Une chose est sûre : il n’est pas étranger à la décision de la BCEAO, en septembre 2004, de retirer de la circulation les billets de la gamme 1992.

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