Gibier de potence

Publié le 5 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Dans un entretien accordé le 31 mai à la chaîne américaine CNN, le président irakien Jalal Talabani a annoncé la tenue du procès de Saddam Hussein dans les deux mois à venir. L’information a sans doute davantage réjoui les Irakiens, pressés de voir leur bourreau payer enfin pour ses crimes, que les Américains, qui ont déjà consommé leur joie, en décembre 2003, avec le « We got him ! » triomphal de Paul Bremer, alors « proconsul » de l’Irak.

C’est en regardant CNN que Khalil al-Dulaimi, avocat irakien, membre du collectif de défense du dictateur déchu, a appris la nouvelle. Aucune notification ne lui a été adressée. Étonnement de son collègue italien, Me Giovanni di Stefano : « Avant qu’un quelconque procès puisse avoir lieu, il faut qu’il y ait une inculpation avec un chef d’accusation. »
Depuis le 1er juillet 2004, date du premier acte d’instruction mené par le juge Raed Djouhi, avec l’audition de Saddam, partiellement télédiffusée, on sait que sept chefs d’inculpation ont été retenus, dont le gazage, en 1988, du village kurde de Halabja, les crimes de guerre lors du conflit irako-iranien entre 1980 et 1988, l’assassinat d’opposants et de dignitaires religieux, et l’invasion, en 1990, du Koweït. Bref, des centaines de milliers de morts et de disparus. À la simple évocation de cette série de chefs d’inculpation, des organisations internationales de droits de l’homme s’inquiètent : les conditions d’un procès équitable sont-elles réunies ? A priori non, si l’on prend en compte les déclarations de Jalal Talabani à CNN : « Le peuple irakien commence à demander la condamnation à mort de Saddam Hussein et son exécution. » Plus qu’un réquisitoire, les propos de Talabani ont les allures d’un verdict avant l’heure. Le Nuremberg du désert promet une justice peu respectueuse des droits de la défense.
Le captif du camp Cropper, le centre de détention « VIP » de l’armée américaine, proche de l’aéroport de Bagdad, n’a reçu la visite d’un avocat irakien qu’une seule fois en dix-huit mois de procédure. Hormis l’audition du 1er juillet, durant laquelle Saddam Hussein a refusé de signer le procès-verbal en l’absence de son avocat, aucun acte d’instruction digne de ce nom n’a été rendu public. Et encore moins communiqué au collectif de défense.

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Instruction ou non, droits de la défense ou pas, le procès aura sans doute lieu. Gageons que le dictateur saura en faire une tribune. Le 1er juillet 2004, il s’était montré pugnace en déniant toute légitimité au juge Raed Djouhi, membre du Tribunal spécial irakien (TSI), une juridiction créée par les Américains. Financé par Washington à hauteur de 75 millions de dollars, le TSI comprend une vingtaine de juges, anonymes pour raisons de sécurité (un de ses membres a été assassiné en mai) et siège dans une aile de la Radouaniya, un palais de l’ex-dictateur, situé au coeur de la zone verte, à Bagdad.
Saddam Hussein n’a pas la moindre chance d’échapper à la peine capitale. Les chiites, communauté comptant le plus grand nombre de victimes du régime baasiste, et les Kurdes détiennent aujourd’hui l’exécutif. Outre les exigences de leurs électorats respectifs, ils sont convaincus de gagner en légitimité en faisant exécuter Saddam Hussein. Toujours aussi peu experts en matière de psychologie bédouine, les Américains, Bush en tête, sont certains qu’une potence pour leur ancienne bête noire démoraliserait l’insurrection irakienne.
S’il n’y a pas un nouveau report (il avait été annoncé à plusieurs reprises), le procès de Saddam Hussein promet d’être passionnant. Non pas en raison du suspense, le verdict étant connu d’avance, mais parce qu’il constituera la dernière apparition publique de l’un des principaux acteurs de la scène politique régionale depuis 1968.

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