Et l’Afrique, dans tout ça ?

Publié le 5 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Chers amis africains,
Il faut bien reconnaître que, tout au long de cette bataille du référendum sur la Constitution européenne, on ne s’est pas beaucoup parlé. Le débat démocratique dans l’Hexagone, dont on souligne volontiers combien il fut riche et ouvert, n’en a pas moins nettement limité son périmètre et ses enjeux aux intérêts directs de ceux qui étaient appelés aux urnes. Vous n’avez été invités ni dans la campagne ni dans les commentaires des résultats. La « France d’en bas » vient de nous apporter la preuve qu’elle mérite cette dénomination pour la place qu’elle occupe sur l’échelle des revenus ou des espérances, pas sur la carte. Visiblement, elle ne regarde pas vers le Sud et je crains bien qu’elle ne songe guère à vous faire partager sa victoire.
Pour autant, on ne peut pas dire que l’Europe ne vous concerne pas. Cela fait d’ailleurs des lustres que la France elle-même vous en fait l’article, jusqu’à Michel Barnier, son dernier ministre des Affaires étrangères, qui s’était signalé en répondant par une « leçon d’Europe » à quasiment toutes les demandes adressées par l’Afrique à son gouvernement. Il n’était pas si grave, selon lui, que la France n’y ait plus, ou ne veuille plus s’y donner les moyens de sa présence. L’Europe était là, qui reprendrait le flambeau avec des possibilités accrues.
S’il y avait encore un peu d’attente avant de vous faire bénéficier des principes de justice, de solidarité et de pluralisme propagés par une politique étrangère et militaire commune, on disposait déjà, grâce à l’Europe, sur le plan économique, des armes d’un partenariat « clean », débarrassé des vieux démons du colonialisme et autres arrière-pensées politiques. Les crédits européens avaient en quelque sorte la vertu – outre d’exister ! – d’apparaître comme « déparasités », donc plus libres de se porter sur ces projets de « bonne gouvernance » ou de « bonne gestion » qui caractérisent de nos jours les dossiers bien emballés.
Les visas ? On allait les « mutualiser » en coordonnant les efforts des membres de l’UE pour offrir aux demandeurs un guichet consulaire unique dont les performances effaceraient les mauvais traitements si souvent dénoncés par les candidats au voyage. L’aide au développement durable ? La nouvelle « superpuissance » – capitale : Bruxelles – saurait pallier les carences de la coopération avec Paris, qui, de toute évidence, n’avait pas le vent en poupe. Jusqu’à l’action culturelle française que des services exsangues, dans nombre d’ambassades, s’étaient empressés de remettre aux mains des fonctionnaires internationaux pour sauver, ici un festival, là un programme d’alphabétisation ou de soutien à la société civile.
Sans oublier cette cerise sur le gâteau de l’Eurafrique, le « partenariat euroméditerranéen » concernant les pays de la partie nord… du Sud. On ne compte plus les forums, les assises et les rencontres où furent salués « le nouvel élan », les « pactes » et autres « plans d’action » mis au service des échanges dans cette future « zone de prospérité partagée ».
Pas plus que vous, je ne veux croire, mes chers amis, que tout ce qui a été édifié entre l’Afrique et l’Europe va filer à la poubelle avec le texte de la Constitution. Mais force est bien d’admettre que la dynamique européenne, et la supranationalité qui en était la clé, ont pris un sérieux coup dans l’aile avec ce scrutin. D’une part, parce que la France, qui était la plus résolue à rapprocher les deux rives de la Méditerranée, voit sa position fragilisée parmi les adhérents de l’UE. D’autre part, parce que les votants ont révélé de telles urgences et de telles frustrations au sein de leur propre société qu’ils requièrent désormais toute l’attention de leurs gouvernants, alertés par ce coup de semonce. Même si tous les artisans du non n’appartiennent certes pas à l’extrême droite xénophobe, ils n’en renforcent pas moins un « camp du repli » peu propice aux initiatives lointaines.
Si l’on ne veut pas voir les partenaires africains de la France se casser la figure entre deux chaises, celle des relations bilatérales – qu’on avait laissée se dégrader sous le prétexte qu’une nouvelle livraison arrivait de Bruxelles et celle de l’Europe supranationale, repoussée dans le décor, il faudrait que vous ne tardiez pas à faire entendre votre voix. Et que nous n’hésitions pas à y répondre.
Sous peine de donner raison à Paul Wolfowitz, qui jubile dans son nouveau rôle de président de la Banque mondiale et s’est déclaré « prêt à travailler pour les pauvres de la planète », compte tenu de ce que « leurs soutiens traditionnels ont déclaré forfait »…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires