Poulets de mauvais augure

Après avoir souffert de la concurrence des volailles congelées importées, la filière avicole est confrontée à la menace du virus H5N1.

Publié le 5 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Il est des coïncidences cruelles. Alors que l’aviculture camerounaise se remet tout juste de dix années d’incertitude, la grippe aviaire, qui se propage chez son voisin nigérian, menace de lui porter un nouveau coup. Les consommateurs boudent déjà les étals des marchands de poulets. Si, comme le redoutent les aviculteurs, il fallait abattre une partie du cheptel (estimé à 31 millions de têtes), le choc serait fatal pour le million de personnes qui subsistent grâce à l’élevage de volailles. Il mettrait à mal tout le secteur, du reproducteur de poussins au vendeur de poulets sur le marché, en passant par le « provendier », le producteur d’intrants. C’est une filière à forte « intégration verticale », dans le jargon économique.
Le répit aura donc été de courte durée. Le 17 janvier, 3 000 professionnels se réunissent à Yaoundé. Sur leurs pancartes, la revendication est claire : non aux importations de poulets congelés européens, cause principale, selon eux, de la déconfiture de l’aviculture nationale. Le fait est inédit dans la capitale camerounaise, plus coutumière des défilés officiels que des rassemblements de la société civile. Dès le lendemain, Bernard Njonga, chef de file des éleveurs, est reçu à la présidence de la République. Il présente ses doléances au secrétaire général Jean-Marie Atangana Mebara et déclare avoir eu l’impression d’être entendu. Inespérée, la rencontre au palais d’Étoudi laisse les éleveurs optimistes. On se prend à croire qu’une aviculture intégrée, compétitive et dont les produits sont accessibles à toutes les bourses est possible. Jusqu’au moment où on apprend que le H5N1 a fait son apparition au Nigeria, avec lequel le Cameroun partage 1 200 km de frontière. La nouvelle tombe le 8 février, à peine trois semaines plus tardL’aviculture camerounaise est jeune. Il y a encore quinze ans, les Camerounais n’étaient pas de grands consommateurs de poulet, considéré comme un mets de luxe réservé aux grandes occasions (mariages, Noël). « Les importations et la production locale coexistaient sans trop de problèmes, les coûts de production étaient raisonnables », se souvient Lorenzo Tangang, vétérinaire et consultant pour le ministère de l’Élevage. En 1994, le vent mauvais de la dévaluation vient rompre l’équilibre. Le coût de la provende (l’alimentation de la volaille, composée de maïs à 70 %), en partie achetée en Europe, grimpe. Les producteurs répercutent l’augmentation sur les prix : le kilo de poulet passe de 1 100 à 1 450 F CFA. En même temps, des filières d’importation se constituent avec l’Europe. Aux alentours de 950 F CFA le kilo, le prix du poulet importé – version congelée – défie toute concurrence. Au même moment, la consommation de volailles se banalise.
La machine est lancée, les importations affluent au port de Douala : d’après un rapport de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic), elles passent de 59 tonnes en 1994 à plus de 22 000 tonnes en 2003. Rien qu’entre 2002 et 2003, elles augmentent de près de 50 %. L’Espagne, talonnée par la Belgique, est en tête de la liste des exportateurs en 2003. Le rythme accéléré inquiète les éleveurs, qui voient leur gagne-pain se réduire comme peau de chagrin. Toujours selon la même source, la production nationale chute de 26 % entre 1997 et 2000, passant de 26 500 à 19 500 tonnes. Outre l’argument économique, la profession souligne un problème de santé publique : des poulets présenteraient des salmonelles et autres microbes les rendant impropres à la consommation. Des berges de la région du Littoral aux marchés du Centre, la chaîne du froid a le temps d’être brisée.
L’aviculture camerounaise n’est pas armée pour lutter. L’essentiel des élevages, de taille modeste – 500 à 1 000 têtes environ -, fait pâle figure en regard d’un secteur de l’importation très concentré, quatre acteurs réalisant la moitié des échanges. Cibles de tous les producteurs locaux, accusés de constituer un lobby puissant auprès du ministère de l’Élevage (Minepia), les importateurs disposent néanmoins d’un argument de taille : « La production locale ne suffit pas, se défend l’un d’eux. Nous importons la différence pour éviter la pénurie. » En 2004, la demande est évaluée à 35 000 tonnes par an, et le déficit à 14 000. Les intérêts des producteurs contre ceux de la population
Le débat est aussi vif que la filière fragile. En aval, un maillon de la chaîne est absent : « Il manque une industrie de transformation, il n’y a aucune chaîne d’abattage industriel au Cameroun », explique Bernard Njonga. Les poulets importés attirent les chalands parce qu’ils sont découpés et même parfois conditionnés. Chacun peut s’approvisionner en fonction de ses besoins immédiats, et surtout de ses moyens. Le poulet « national », au contraire, est vendu « sur pied ». Il faut acheter l’animal entier, quitte à ne pas pouvoir le conserver. « Ce qui intéresse d’abord le consommateur, ce n’est pas le prix, c’est la présentation », assure Lorenzo Tangang. Les maux sont simples et connus de longue date, reste à appliquer les remèdes. Les importations de poulets congelés ont toujours été autorisées au Cameroun, mais dans le cadre de quotas (8 500 tonnes en 2003), qui n’ont vraisemblablement jamais été respectés.
Sous l’effet de la mobilisation populaire – « le poulet est un sujet qui touche les gens, ils se sentent concernés », assure Bernard Njonga – et de l’intense lobbying de l’Acdic, le Minepia révise les quotas d’importation à la baisse à partir de 2004, en contrepartie d’une hausse de la production, et applique une taxe de 450 F CFA par kilo importé. L’effet de ces mesures protectionnistes ne se fait pas attendre : seulement 5 000 tonnes sont importées en 2005 et le prix d’un volatile venu d’Europe passe à 1 650 F CFA le kilo, l’équivalent du tarif moyen national. La même année, la production locale aurait augmenté, d’après l’Acdic, de 60 %. Autre signe de l’amélioration, le nombre de poussins produits tous les mois est passé de 1,3 million en septembre 2004 à 2,1 millions un an plus tard.
Les éleveurs rechignent encore à se lancer dans des investissements industriels. Ils sont loin d’avoir une confiance absolue dans les autorités. Le 25 novembre 2005, huit jours après avoir interdit les importations pour cause de menace de grippe aviaire, le Minepia les autorise de nouveau par peur de pénurie à l’approche de Noël. Un revirement inattendu mais qui pèse sur le chiffre d’affaires des aviculteurs. Aujourd’hui, on ne débarque plus de poulets congelés au port de Douala. Le virus H5N1 se propageant en Europe, les importations sont bel et bien stoppées, et les consommateurs gagnés par la psychose.

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