Beyrouth, mon amour

Les réalisateurs de A Perfect Day forment un couple à la ville comme à la scène. Et sont unis par la même passion pour la capitale libanaise.

Publié le 5 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Le septième art, ils avouent qu’ils y sont venus « par accident ». « On n’a pas étudié le cinéma, on n’a pas fait d’école de cinéma », explique Khalil Joreige. « On a étudié la littérature comparée, le théâtre », enchaîne Joana Hadjithomas. « En fait, c’est quelque chose qui était en nous et trottait dans notre tête. Cela devait nous faire peur. Mais on a toujours travaillé avec des images et de la fiction, et, naturellement, cela nous a amenés aux films », poursuit-elle.
Difficile de résumer leur dernière réalisation, A Perfect Day, un petit bijou qui emprunte son titre à la mélancolique chanson de Lou Reed. D’abord, parce qu’il ne raconte pas une histoire linéaire. « C’est avant tout un film d’ambiance, de détails et de sensations », résume Joana. « On avait le sentiment depuis la fin de la guerre à Beyrouth qu’on était dans une phase un peu statique où les choses étaient en latence et on voulait faire un film autour de ça », poursuit-elle. Cette atmosphère est incarnée par Malek (Ziad Saad), le héros, un personnage zombie qui s’endort au volant, au milieu de la frénésie des embouteillages de Beyrouth.
En ce Perfect Day, le jeune homme a réussi à convaincre sa mère (Julia Kassar) de déclarer mort son père, porté disparu depuis quinze ans, à l’instar de 17 000 autres personnes dont les corps n’ont jamais été retrouvés.
Le deuxième long-métrage du tandem Hadjithomas-Joreige est donc un film contre l’oubli. Il est d’une certaine manière dédié à ces familles qui sont face à un deuil impossible en l’absence du corps. « C’est un travail très personnel, précise Khalil. Mon oncle a connu le même sort que le père de Malek. Ce film est un sédiment de plein d’histoires. »
Joana et Khalil ont bien entendu des réalisateurs cultes. Il cite Abbas Kiarostami, qui l’a « marqué énormément sans que cela ne se répercute directement dans nos films ». Elle aime Tsai Ming Lian, Claire Denis, Philippe Garel, et ajoute que leurs films à eux ne ressemblent pas pour autant à ceux qu’ont signés ces cinéastes.
Les réalisateurs de A Perfect Day ont une particularité. Ils ne disent jamais « je » mais toujours « on » ou « nous » sans que l’on ait à quelque moment que ce soit l’impression que l’individualité de l’un ou de l’autre soit phagocytée par ce pronom pluriel. Nés tous les deux à Beyrouth, il y a trente-six ans, Joana et Khalil, qui forment un couple à la ville comme à la scène, donnent le sentiment d’un duo parfait qui se comprend à demi-mot.
Comment se passe concrètement leur collaboration artistique ? « Même si Khalil a été très tôt attiré par la photo et moi par l’écriture, avec laquelle j’entretiens un lien vital, on fait tout ensemble », précise Joana. « Il n’y a pas de division du travail. Chaque image est à la fois la mienne et la sienne. On ne cède sur rien », assure de son côté Khalil.
« La difficulté quand on fait tout ensemble, c’est qu’il ne faut pas qu’il y ait de sacrifice ou de concession, sinon la frustration s’accumule et ce sentiment ne peut pas rester silencieux très longtemps. En cas de désaccord – et ça arrive très souvent – sur une décision scénaristique ou autre, on cherche une autre voie, poursuit Joana. Il y a de la bagarre, de la tension mais du respect et surtout pas d’ego mal placé. C’est un partage réel. »
Au-delà des dissensions, somme toute fructueuses, ce qui les unit aussi, c’est leur amour obsessionnel pour le Beyrouth d’après-guerre. L’un et l’autre veulent montrer comment cette ville, et donc ses habitants, se réconcilient, ou non, avec les fantômes du passé pour construire le présent. C’est cette obsession qu’ils déclinent sous différentes propositions : photos, installations, documentaires, courts et longs métrages…

Pour faire plus ample connaissance : www.hadjithomasjoreige.com

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