Algérie : une censure qui ne dit pas son nom

Publié le 5 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Nos lecteurs algériens n’ont pu se procurer le n° 2353 (12-18 février 2006) de Jeune Afrique, qui n’a pas reçu d’autorisation de diffusion du ministère de la Communication. Lequel n’a pas pris la peine de nous faire parvenir une quelconque notification. Et encore moins de justifier sa décision. Il n’est pourtant pas très difficile de deviner les raisons de cette censure qui n’ose pas dire son nom : la publication d’un dossier spécial de 12 pages sur la polémique consécutive à la publication, au Danemark, de caricatures du prophète Mohammed (« Le choc des passions »).
Si nous comprenons parfaitement le caractère ultrasensible du sujet traité, il nous est impossible d’accepter une telle réaction. Notre dossier se proposait de dresser sereinement le bilan des événements et de donner la parole à des personnalités du monde entier, du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan au président du gouvernement espagnol José Luis Zapatero, en passant par l’universitaire Tariq Ramadan. Notre ambition était de « dépassionner » le débat, raison pour laquelle nous nous sommes abstenus de publier les caricatures controversées. Alors, que nous reproche-t-on ?

La décision du ministère algérien de la Communication, qui n’a pas de patron depuis le remaniement gouvernemental du 1er mai 2005, n’est pas la première du genre. Le n° 2346-2347 (25 décembre 2005-7 janvier 2006) de Jeune Afrique a également été interdit à la vente. Motif : notre collaborateur Farid Alilat, auteur d’un article consacré à Madani Mezrag, n’est pas accrédité en Algérie. Cela méritait-il de saisir plusieurs milliers d’exemplaires d’un numéro double ? Nous vous en laissons juges.
Nous ne sommes pas le seul média étranger à subir les foudres de la censure algérienne. Depuis le début de l’année, près d’une cinquantaine d’interdictions ont frappé divers titres de la presse française. Citons, pêle-mêle, Le Monde, L’Express, Paris-Match Rappelons qu’en juillet 2003 des journalistes de TF1, de France Télévisions et de la RTBF avaient été sommés de quitter le pays alors qu’ils couvraient la libération d’Abassi Madani et d’Ali Benhadj. Le 28 juillet 2004, un décret exécutif fixant les modalités d’accréditation des journalistes travaillant pour des médias étrangers a été promulgué. Nul besoin de préciser qu’il est des plus contraignant. Le même mois, l’accréditation accordée au correspondant de la chaîne qatarie Al-Jazira a été suspendue. En mars 2005, le mensuel Afrique Magazine a été, à son tour, interdit à cause d’une enquête intitulée « Les disparus : le deuil impossible ». Il serait fastidieux d’énumérer toutes les interdictions et toutes les mesures de rétorsion prises à l’encontre des médias depuis 2004. Sans parler des multiples procès intentés à nos confrères algériens, dont certains ont été condamnés à de lourdes peines de prison ferme.

la suite après cette publicité

Le malaise est patent. Et les interrogations nombreuses. Pourquoi ce retour en arrière, alors que, depuis l’accession à la magistrature suprême d’Abdelaziz Bouteflika, en 1999, les médias étrangers et nationaux jouissaient d’une réelle liberté d’expression ? Comment peut-on laisser à un seul fonctionnaire du ministère de la Communication le soin de décider de ce qui peut être diffusé ? Pourquoi un portefeuille aussi sensible n’a-t-il pas de ministre à sa tête ? Jusqu’à quand cette situation aberrante va-t-elle durer ? Jeune Afrique a fêté en novembre 2005 le septième anniversaire de son retour en Algérie, après vingt-deux longues années d’interdiction. En février 2004, j’ai moi-même écrit dans ces colonnes que « Jeune Afrique veillera toujours à porter un regard différent, plus proche et toujours éclairé sur l’actualité algérienne. Nous voulons compter en Algérie parce que l’Algérie compte à nos yeux. Être plus proche de nos lecteurs fait partie de nos ambitions premières. C’est un pari difficile que nous relevons. Notre devise, le devoir d’informer, la liberté d’écrire, prendra tout son sens si nous réussissons. » Force est de constater que nous ne sommes guère aidés dans notre entreprise Si cette situation devait perdurer, le Groupe Jeune Afrique tirera prochainement les conclusions qui s’imposent.
En attendant, nous présentons à nos lecteurs algériens nos excuses pour ces absences à répétition, indépendantes, bien sûr, de notre volonté. Et les invitons à consulter notre site Internet ?(www.jeuneafrique.com) pour continuer à nous lire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires