Africains, encore un effort

Publié le 5 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

L’idéal démocratique et sa mise en uvre sur le terrain ont-ils fait beaucoup de progrès en Afrique au cours des dix dernières années ?Ma réponse à cette question est : quelques progrès ont été enregistrés ici et là. Mais pas assez, et en tout cas rien de décisif : ce qui reste à faire est énorme.

Presque partout, les dirigeants sont désormais élus et les scrutins sont en général contradictoires. Mais l’établissement des listes laisse beaucoup à désirer, le pourcentage des inscrits est beaucoup trop faible et les règles du jeu démocratique, tel qu’il se pratique dans les pays où la démocratie est établie, sont rarement observées. Résultat : il n’y a que cinq ou six pays africains où les résultats du scrutin ne sont pas contestés par le ou les perdants.
Or nous le savons tous : il n’y a démocratie électorale que lorsque le perdant reconnaît qu’il a été battu à la loyale, félicite le gagnant – et se trouve, le lendemain, dans le rôle d’un opposant respecté.

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J’ai écrit « démocratie électorale » pour indiquer que, même honnêtes et transparentes, les élections ne sont que le socle du système. Dans un pays, il y a démocratie, au sens plein du terme, lorsque les citoyens disposent d’institutions stables dont, en particulier, une justice et une presse indépendantes, lorsqu’ils sont éduqués et protégés par des lois que la grande majorité des gens respectent.
En Afrique, pour l’heure, au sud du Sahara en tout cas, la plupart des pays ne peuvent faire voter leurs citoyens qu’avec de l’argent reçu de l’extérieur sous forme de dons – et sous le regard d’observateurs étrangers, auxquels on a assigné le rôle de témoins de moralité.
À ce stade, on ne peut donc parler que de démocratie balbutiante

Certes, mais il ne faut pas occulter le positif : sur le chemin long et difficile qui mène de l’autoritarisme à la démocratie, avec l’aide de la communauté internationale et grâce à l’exigence vigilante de l’Union africaine*, les peuples africains ont déjà franchi une étape importante : les coups d’État militaires, qui furent, entre 1960 et 2000, le moyen rêvé – et trop facile – d’accéder au pouvoir, ont été mis hors la loi.
Le dernier auteur de coup d’État autorisé à se présenter à « une élection présidentielle confirmative » a été François Bozizé en Centrafrique. La situation politique et économique de son pays, très particulière, a pu justifier cette exception.
À l’inverse, quand, il y a un an, au Togo, l’armée a voulu installer Faure Gnassingbé à la place de son père décédé, le tollé national, interafricain et international a obligé les auteurs de l’opération à l’annuler. Et ce fils d’Eyadéma a dû se soumettre au verdict des électeurs pour pouvoir accéder à la tête de l’État.
L’autre illustration de cette évolution a été donnée par la Mauritanie : le 3 août 2005, un coup d’État pacifique et salutaire est intervenu à Nouakchott. Bien que considérés par la majorité de leur peuple comme des sauveurs, ses auteurs n’ont pu vaincre la défiance extérieure et les réserves de l’Union africaine qu’en s’interdisant – par une loi qu’ils ont promulguée – d’en être les bénéficiaires.
Conclusion : il y aura de moins en moins de coups d’État en Afrique puisqu’ils ne mènent leurs auteurs, au mieux et à condition qu’ils les réussissent, qu’à exercer pendant quelques mois un pouvoir de transition très surveillé.

Mais le pas que les Africains n’ont pas encore franchi, et sans lequel la démocratie est bancale, est le respect absolu des Constitutions, en particulier dans leurs articles relatifs aux mandats présidentiels.
La réélection récente de Yoweri Museveni à la tête de l’Ouganda a mis en lumière une mauvaise pratique dont les Africains se sont faits les tristes champions.
Le New York Times consacre à ce dévoiement de la démocratie un éditorial indigné, dont nous partageons l’analyse et les conclusions. Lisez :
Yoweri Musevini a accédé au pouvoir grâce à un soulèvement militaire en 1986. Il a été élu président pour la première fois dix ans plus tard et a supprimé la limite des deux mandats prévue par la Constitution pour être sûr qu’il pourrait se représenter cette année. Ce comportement est typique de nombreux dirigeants africains qui cherchent à garder le pouvoir le plus longtemps possible, qu’ils l’aient conquis par un vote ou par un coup d’État.
Exception qui mérite d’être soulignée : l’Afrique du Sud, où une démocratie multiraciale a été instaurée en 1994 avec l’élection du président Nelson Mandela. Il a créé un précédent de pouvoir respectant ses limites lorsqu’il a pris sa retraite en 1999 au terme d’un seul mandat. Il avait alors près de 81 ans.
Son successeur, Thabo Mbeki, a fait connaître en février sa décision de renoncer à ses fonctions, l’an prochain, après deux mandats. Âgé seulement de 64 ans, Mbeki a fait preuve d’une grande sagesse en résistant à la tentation de supprimer la limitation prévue par la Constitution.
Les trop longues présences au pouvoir ont souvent été source de corruption en Afrique. Il suffit de rappeler le cas de Daniel arap Moi au Kenya (vingt-quatre ans), de Mobutu Sese Seko au Zaïre (trente-deux ans) et d’Omar Bongo Ondimba au Gabon (trente-neuf ans, et c’est reparti). Même quand le président est honnête, ses amis prennent leur part du gâteau. Plus le patron s’incruste, et plus ils en profitent.
Au Tchad, le président Idriss Déby Itno a changé la Constitution l’an dernier pour s’offrir un troisième mandat. Et au Nigeria, le président Olusegun Obasanjo n’a pas démenti les rumeurs selon lesquelles il essaiera d’amender la Constitution pour en faire autant.
Aucun président n’est irremplaçable, et la démocratie s’épanouit lorsque le pouvoir politique est librement et régulièrement transmis.
(Voir pages 87-88 l’analyse de Christophe Boisbouvier.)

*Ainsi que du Commonwealth et de la Francophonie.

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