En Mauritanie, le cash est roi

Malgré l’apparition de nouveaux établissements, notamment étrangers, le taux de bancarisation demeure très bas. La finance islamique pourrait faire sauter un des nombreux freins à l’ouverture de comptes.

« Les voitures neuves se paient avec des cabas d’argent liquide », raconte un Nouakchottois. © Laurent Prieur/JA

« Les voitures neuves se paient avec des cabas d’argent liquide », raconte un Nouakchottois. © Laurent Prieur/JA

Publié le 14 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Fin 2012, la Banque populaire islamique (BPI) a ouvert sa première agence à Nouakchott, avenue Charles-de-Gaulle. Ce nouvel acteur, contrôlé par le groupe local LOE de Limam Ould Ebnou, a vocation à toucher un large public en ne commercialisant que des produits compatibles avec les règles du Coran. « Le faible taux de bancarisation du pays provient principalement de la religion. La finance islamique doit permettre de l’augmenter », justifie un cadre de la BPI. Un an plus tôt, en novembre 2011, la Banque islamique de Mauritanie (BIM) avait également démarré ses activités sur ce même créneau, devenant le premier établissement étranger totalement islamique du pays, avec un actionnariat composé de la Banque islamique de développement (60 %) et du turc Bank Asya (40 %).

Peuplée à 98 % de musulmans – souvent très croyants -, la Mauritanie reste largement hostile aux produits bancaires classiques. Du coup, même les grandes banques étrangères universelles – du marocain Attijariwafa Bank au français Société générale – proposent elles aussi des prêts islamiques appelés « mourabaha » à leurs clients mauritaniens. « L’augmentation de la bancarisation devra passer par des services innovants et la finance islamique », martèle Eric Jonckheere, directeur général de Qatar National Bank (QNB) en Mauritanie.

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Carte salaire

De fait, les offres commerciales novatrices se multiplient. Société générale Mauritanie (SGM) a ainsi séduit les particuliers en leur proposant la carte salaire, qui permet à une entreprise cliente de remplacer le paiement en espèces de ses salariés par un transfert du montant de la paie sur une carte attribuée à chaque employé – une première étape avant la bancarisation. Depuis août 2012, SGM a également ouvert un espace privilège pour sa clientèle haut de gamme. De son côté, Orabank Mauritanie (ex-Bacim Bank), filiale du groupe ouest-africain Oragroup, travaille sur plusieurs projets tels que le paiement par téléphone portable, le développement du porte-monnaie électronique ou le ciblage de la diaspora avec des produits spécifiques.

Dans ce contexte compliqué, les banques ciblent prioritairement la clientèle professionnelle.

Malgré la forte croissance du PIB (elle est estimée à 5,3 % en 2012), le cash n’est pas près d’être détrôné. Avec environ 230 000 comptes pour 3,6 millions d’habitants, le taux de bancarisation (6 %) reste très bas par rapport à d’autres pays d’Afrique – plus de 50 % au Maroc et désormais plus de 30 % au Kenya. Culturels, économiques et juridiques, les freins au développement bancaire sont pour l’instant les plus forts. Près de la moitié de la population vit dans la grande pauvreté, la méfiance des Mauritaniens vis-à-vis des banquiers est élevée, les chèques endossables sont autorisés, la domiciliation des salaires n’est pas obligatoire, le secteur informel reste très important… « Ici, les voitures neuves se paient avec des cabas d’argent liquide », raconte Gagny, un informaticien nouakchottois. Résultat : l’économie souffre d’un manque patent d’épargne. « Nous souhaitons la développer, mais pour l’instant elle reste marginale, concède la direction de SGM. Le pays est essentiellement composé d’emprunteurs, et la classe moyenne doit encore se développer. »

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Dans ce contexte compliqué et pour rattraper leur retard, les banques étrangères ciblent prioritairement la clientèle professionnelle. SGM compte ainsi 3 000 clients commerciaux, dont beaucoup de PME et d’entreprises internationales implantées en Mauritanie. Orabank a également une base de 3 000 clients professionnels, essentiellement des TPE, et Attijari Bank Mauritanie compte environ 2 500 entreprises dans son portefeuille. Arrivé en 2010, QNB est même uniquement tourné vers les professionnels, avec une centaine de clients.

Cliquez sur l'image.Mais de ce côté-là non plus, rien n’est simple : les banques ont en effet du mal à offrir les financements à long terme indispensables aux investissements dans des grands projets de construction immobilière et d’infrastructures. Faute de ressources locales, BB Energy, qui détient le monopole d’importation des produits pétroliers dans le pays pour les deux prochaines années, a ainsi dû aller chercher l’essentiel des 300 millions d’euros dont il avait besoin à l’étranger ; sur place, seuls SGM et QNB pouvaient répondre à une partie de ses besoins. « Le pays souffre d’un manque d’investissements à moyen et long terme », confirme la direction de SGM.

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Nouvelles licences

Pour doper enfin le marché, la Banque centrale de Mauritanie a pris quelques initiatives. Elle encourage par exemple les banques à ouvrir des agences : le pays en compte un peu plus d’une centaine aujourd’hui, contre 84 fin 2011. Elle n’exclut pas non plus d’attribuer de nouvelles licences bancaires à des acteurs répondant aux critères, notamment celui d’avoir un capital de départ minimal de 16 millions d’euros. Pas de quoi bouleverser les huit banques adossées à des holdings familiaux – dont la Banque mauritanienne pour le commerce international, la Banque nationale de Mauritanie ou la Générale de banque de Mauritanie – qui contrôlent toujours les deux tiers du marché. L’espoir reste toutefois de mise au sein de la profession. « Selon nos études, le total de bilan du secteur bancaire devrait doubler dans les cinq ans et afficher un taux de croissance annuel à deux chiffres », assure Eric Jonckheere

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