Peut-on caricaturer le Prophète ?

Publié le 5 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Des journaux danois et norvégiens ont publié voici quelque temps des dessins satiriques que leurs lecteurs musulmans trouvèrent humiliants pour leur religion et son Prophète. Depuis, les remous et les tensions n’ont cessé d’enfler parmi les populations immigrées, comme dans beaucoup de leurs pays d’origine.
L’important dans cette affaire, c’est de comprendre la gravité de ces réactions en chaîne et les conséquences psychologiques qu’elles entraînent des deux côtés de la Méditerranée. Certes, les auteurs des caricatures en question ne pensaient pas blasphémer en les publiant, puisque l’islam n’est pas leur religion. Mais leur comportement n’est pas innocent. Il révèle à l’égard de l’islam sinon de l’hostilité, du moins une attitude de dédain provoquée sans doute par le spectacle d’immigrés en grand déphasage, social et éducationnel, avec les sociétés d’accueil. Cette immigration, parce que non maîtrisée par une réflexion sociologique préalable, a provoqué des dégâts dans les relations entre l’islam et l’Occident. Un Occident qui n’en juge qu’à l’aune de ses immigrés et d’après l’image internationale, de plus en plus ternie par des facteurs endogènes et exogènes, d’un monde musulman présenté par d’aucuns comme l’ennemi mortel de la civilisation occidentale.
Pour leur défense, les journaux incriminés invoquent le droit à la liberté d’opinion. Mais vouloir ridiculiser une religion, est-ce faire preuve d’esprit critique ? Celui-ci s’exerce dans l’analyse et l’appréciation de questions d’actualité afin d’aider les lecteurs à se forger eux-mêmes une opinion. En se moquant d’un passé révolu, qu’ils injurient de manière directe ou indirecte, ils ne rendent nullement service à leur lectorat. Ils creusent le fossé entre autochtones et immigrés, et préparent de possibles et regrettables confrontations. En infligeant un préjudice moral à autrui, ils compromettent la vie en bonne intelligence à l’intérieur de leurs sociétés. Est-ce là faire preuve de liberté d’esprit ?
Mais au-delà, « blasphémer » le Prophète des musulmans dénote un manque de culture étonnant de la part de journalistes censés avoir quelques lumières sur la grande religion monothéiste. Le Coran, transmis par celui qu’ils tournent en dérision, comprend des versets sublimes à la gloire de Moïse, de Jésus et de Marie – que les musulmans ont de tout temps respectés et vénérés. Comment des esprits supposés avertis – et dont la mission essentielle devrait consister à éclairer leurs concitoyens – peuvent-ils ignorer ce message coranique de tolérance et de mutuelle considération au point de se permettre d’inculquer à leurs lecteurs le mépris du fondateur de l’islam ?
Par ailleurs, il faut bien admettre que « blasphémer » le Prophète des musulmans n’est pas un honneur à revendiquer. C’est outrager, dans ce qu’ils vénèrent, des peuples réputés faibles, sans grande défense. Ce n’est pas un acte courageux. Ni même productif – pour ses auteurs, ou pour l’Europe, qu’ils appellent à la rescousse.
Les pays européens – l’a-t-on oublié ? – interdisent par la loi toute liberté d’opinion concernant certains sujets tabous. Comment, s’ils venaient à cautionner des attaques contre une religion – qui de surcroît se réclame du message fondateur d’Abraham -, pourraient-ils justifier une si flagrante discrimination ? Comment l’Union européenne, qui milite en faveur de la solidarité des cultures et des civilisations, pourrait-elle couvrir de telles injures, qui laissent inévitablement, dans la mémoire des peuples, des blessures profondes ?
Au comprotement irresponsable – et quelque blessant qu’il fût – d’une poignée d’apprentis sorciers, ceux qu’il blesse ne devraient répondre ni par des mesures économiques, ni a fortiori par des décisions politiques. Nul boycottage ne peut offrir une quelconque réparation. Nulle réplique ne saurait être digne de celui dont on veut défencre l’auguste mémoire. Et surtout pas la haine, mère de toutes les violences qui ne feraient qu’accréditer les médisances des malveillants – et rendre crédible la théorie du choc des civilisations.
Seule une altière indifférence doit répondre à de telles insanités.

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