Nostalgies staliniennes

Publié le 5 février 2006 Lecture : 2 minutes.

« Grâce à lui, nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale et, de son temps, la croissance était forte », s’exclame Sergueï, un Moscovite de 23 ans. « Il y a du pour et du contre, nuance Tatiana, étudiante à Iaroslav. Il a su mobiliser le peuple dans la lutte contre le nazisme, mais l’aspect négatif, c’était le culte de la personnalité. Je voterais pour lui si ses pouvoirs étaient limités. »
Voter pour Joseph Staline en 2006 ? Poser la même question aux Allemands à propos d’Adolf Hitler ne manquerait pas d’horrifier les Occidentaux. Mais la crainte de voir la Russie sombrer dans le chaos justifie apparemment toutes les indulgences à l’égard de ce pays, et cette hypothèse incongrue semble n’offusquer personne.
A preuve, à l’initiative du magazine américain Foreign Affairs, le très sérieux institut Levada, à Moscou, a réalisé pas moins de trois sondages en trois ans pour constater qu’en dépit de son image de « tyran » l’ex-secrétaire général du Parti communiste, qui dirigea l’Union soviétique de 1928 jusqu’à sa mort, en 1953, n’inspire pas forcément le rejet. Même parmi les jeunes !
Menés en janvier 2003 et en juillet 2004 auprès d’un échantillon de 4 700 personnes, les deux premiers révèlent que 13 % des moins de 30 ans voteraient « sûrement » ou « probablement » pour Staline s’il se présentait aujourd’hui à une élection présidentielle. En outre, tout en déclarant qu’ils ne voteraient « probablement pas » pour lui, 21 % des sondés laissaient entendre que leur choix dépendrait de la qualité des autres candidats. Seuls 46 % se déclaraient résolument hostiles au défunt « petit père des peuples ». Les Russes âgés de plus de 30 ans sont encore plus nombreux à « soutenir » Staline : 30 % d’entre eux se disent résolus à voter pour lui (ou enclins à le faire), 36 % rejetant cette hypothèse.
Mené en juin 2005 sur un échantillon de 2 000 jeunes âgés de 16 ans à 29 ans, un troisième sondage confirme la tendance. Staline, dont 70 % des sondés savent qu’il a « fait torturer, emprisonner et tuer des millions d’innocents », n’est paradoxalement qualifié de « cruel tyran » que par 43 % de ces jeunes. L’ambivalence de leurs sentiments, alliée à d’évidentes lacunes historiques, les conduit même à le qualifier de « leader avisé » (51 % contre 39 %), dont on a « exagéré le rôle dans les répressions » (42 % contre 37 %) et qui, au total, a fait « plus de bien que de mal » (56 % contre 33 %). Ils ne sont que 28 % à lui dénier le mérite de la victoire sur le nazisme. La grande majorité semble ignorer les purges massives qu’il infligea à l’armée Rouge, l’affaiblissant dangereusement à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Les Russes sont d’autant plus nostalgiques du défunt Empire soviétique qu’ils sont confrontés à la pauvreté, à la perte de l’influence diplomatique et au conflit tchétchène. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Poutine, toujours prompt à aller dans le sens de l’opinion, déclarait en 2005, approuvé par 78 % de ses compatriotes, que l’effondrement de l’URSS a été la plus grande catastrophe du XXe siècle. Tous sont d’autant moins tentés de toucher au mythe de la « grande guerre patriotique » et de la superpuissance mondiale que les lendemains ne chantent pas.

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