Collisions en vue
Tout observateur lucide de la scène internationale ne peut pas ne pas voir les nuées qui s’accumulent à l’horizon. Elles sont noires et annonciatrices d’orages qui menacent d’éclater à l’improviste un mauvais jour de cette année.
Nous le savons tous : les orages de demain ou d’après-demain sont les fruits amers des situations explosives en train de se nouer aujourd’hui.
Deux d’entre elles, où se heurtent, déjà – et avec violence -, des intérêts contradictoires, retiennent l’attention parce qu’elles conduisent leurs protagonistes tout droit à l’affrontement armé.
1. La première de ces deux situations explosives est celle qui s’est créée entre les Euro-Américains (Israël inclus), d’une part, et l’Iran, d’autre part, à propos du programme nucléaire de ce pays.
Entre les deux parties, tous les efforts de conciliation ont échoué, l’ère des escarmouches semble être parvenue à son terme avec l’année 2005 et l’on en arrive maintenant aux choses sérieuses.
En ce début 2006, nous assistons visiblement à la mise en place du dispositif qui précède l’épreuve de force, que les Anglo-Saxons appellent « show-down » : chaque camp abat ses cartes.
Après avoir traîné les pieds, les Européens ont rejoint la position des États-Unis sur la question et font désormais avec eux cause commune.
La Russie, la Chine et l’Inde sont sommées par ce premier cercle d’oublier leurs intérêts particuliers et de cesser de donner l’impression de « comprendre » la position iranienne.
Aux pays arabes et à la Turquie, les Euro-Américains rappellent qu’ils seraient les premières victimes d’un Iran doté de la capacité nucléaire.
De Mohamed el-Baradei, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et de Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, les mêmes attendent un appui sans réserve ni murmure.
Du côté iranien, la fierté nationale d’un grand peuple de vieille civilisation et fasciné par le martyre est à son paroxysme : « Pourquoi deux pays qui n’existaient pas il y a soixante ans, Israël et le Pakistan, auraient-ils le droit de détenir la puissance nucléaire, et pas nous, vieille nation enracinée dans l’Histoire ? » pensent tous les Iraniens, et pas seulement leur gouvernement.
Formulée jour après jour par un président atypique, nouveau venu dans l’équation et auquel ceux qui l’ont fait élire ont donné la latitude de s’exprimer sans frein, la position publique de ce pays est de toute évidence un acte de rupture.
Et le fait d’évoquer l’arme du pétrole, sans aller toutefois jusqu’à la brandir, souligne que l’Iran est à bout de nerfs.
Comment ne le serait-il pas, se sentant encerclé – et menacé – par les armées américaines qui occupent ses voisins irakien et afghan ?
Et ce n’est pas un hasard si, en ce moment même, les « Moudjahidine du peuple », organisation paramilitaire et mercenaire très hostile au pouvoir iranien – elle est passée directement du service de Saddam Hussein à celui des États-Unis -, s’invitent à la danse et se proposent pour « régler son compte au régime de Téhéran ».
Vous voulez encore plus belliqueux et significatif ? Lisez ceci, sorti, pas plus tard que le mardi 31 janvier, de la bouche du président des États-Unis. Voici ce qu’il a dit de l’Iran et des hommes qui le gouvernent dans son discours sur « l’état de l’Union » : « L’Iran est une nation tenue en otage par une petite clique cléricale qui isole le peuple et le réprime.
Le régime iranien appuie le terrorisme en Palestine et au Liban, et cela doit cesser.
Les ambitions nucléaires du gouvernement iranien sont un défi pour le monde entier, qui a le devoir d’interdire à l’Iran d’accéder à la puissance nucléaire. Les États-Unis d’Amérique, eux, feront ce qu’il faut pour atteindre ce résultat. »
Et, s’adressant aux Iraniens par-dessus la tête de leur gouvernement, le président américain les a carrément appelés à « choisir leur avenir et à regagner leur liberté ».
J’ajoute pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas encore que le Conseil de sécurité de l’ONU est présidé, depuis le 1er février et pour un mois, par l’inénarrable John Bolton, délégué des États-Unis.
Attendez-vous à des éclats de voix en provenance de New York et à l’accélération de la rhétorique anti-iranienne.
Vous le voyez : tous les ingrédients sont réunis pour qu’on passe des escarmouches et des menaces à l’action déstabilisatrice et, de cette dernière, à la collision.
2. Non loin de là, et non sans lien avec ce qui est décrit ci-dessus, se noue une autre situation tout aussi explosive, née de l’énorme victoire électorale (et socio-politique) du Hamas en Palestine.
Pour l’heure et pour encore quelques semaines, les parties en présence se retiennent, s’observent et affirment urbi et orbi qu’elles veulent la paix tout en recherchant des alliances pour renforcer leur donne.
Aucune ne veut être celle qui déclenche les hostilités : cela lui ferait endosser tous les torts. Mais ce n’est, à mon avis, que partie remise, car le « gap » entre elles est vertigineux, infranchissable à court terme.
Le Hamas ne voudra pas négocier avec Israël, dont la position, à peine caricaturée, s’énonce toujours ainsi : « Désarmez, reconnaissez-nous – et attendez notre bon vouloir, comme l’a fait, avant vous, le Fatah. »
De leur côté, Israël et ses dirigeants actuels, comme ceux qui émergeront des élections législatives du 28 mars, ne voudront pas donner au Hamas ce qu’ils ont refusé au Fatah et à l’Autorité palestinienne : ce serait, pensent-ils, une prime à la violence et au radicalisme.
On s’achemine donc, selon toute probabilité, vers une nouvelle impasse. Et qui pourrait conduire, là aussi, à la collision.
Ce n’est, hélas ! pas tout : à l’intérieur du camp palestinien, le Hamas et le Fatah tenteront sans doute de cohabiter et s’efforceront de préserver « l’unité des rangs » entre Palestiniens. Ils y réussiront pour un temps, mais il y a bien peu de chances qu’ils trouvent entre eux un modus vivendi permanent.
Et s’ils n’y parviennent pas, comme c’est très probable, cela donnera une forme de chaos. Et à Israël une raison supplémentaire de camper sur ses positions traditionnelles.
Mon analyse, ma crainte, est que nous allons voir se développer deux situations explosives – et qui s’alimenteront l’une l’autre pour déboucher, dans chaque cas, sur des conflits armés.
Parce qu’elle n’a su ni les prévoir ni les prévenir, et qu’elle aura, au contraire, contribué à les créer, la communauté internationale aura sur les bras un nouveau foyer de tension, énième avatar de cette « guerre mondiale contre le terrorisme » déclenchée et organisée par George W. Bush et son administration.
Qui nous la laisseront en redoutable héritage, avec un Irak déstabilisé et un Moyen-Orient déboussolé.
(Voir pp. 24-26 l’analyse de Patrick Seale.)
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