L’Inde, l’autre « ami » asiatique
Plus discrètes que leurs consoeurs chinoises, les entreprises indiennes avancent leurs pions en Afrique. Développement de la production locale, transmission de savoir-faire, transfert de technologies… À bien des égards, le partenariat semble gagnant-gagnant.
Ils seront plusieurs centaines de chefs d’entreprise et de gouvernants africains à se rendre à New Delhi, du 17 au 19 mars, pour participer au neuvième conclave d’affaires Inde-Afrique. Ce rendez-vous, peu couvert par les médias africains, est devenu un haut lieu d’échanges entre les opérateurs économiques des deux régions. En huit ans, plus de 1 000 projets y ont fait l’objet de discussions, pour un montant cumulé estimé à plus de 75 milliards d’euros. Plus discrètement que d’autres, l’Inde avance peu à peu ses pions sur le terrain africain. Le temps où ses entreprises estimaient avoir encore beaucoup à faire sur leur marché domestique de plus de 1 milliard de consommateurs est en effet révolu.
Edwin Devakumar, pilier de Dangote
Sans lui, Dangote ne serait pas le géant industriel qu’il est aujourd’hui. Sous la houlette de l’ingénieur indien, le leader nigérian de l’import-export est devenu un groupe manufacturier performant, avec une vingtaine de cimenteries et d’usines agroalimentaires et textiles au Nigeria et au Ghana. Edwin Devakumar s’est formé à l’ingénierie de production en Inde et aux Pays-Bas, avant d’entamer une carrière de directeur d’usine dans son pays puis au Nigeria. C’est là qu’il rencontre le tycoon Aliko Dangote, qui le place en 1992 à la tête de deux usines de textile. Reconnu pour sa maîtrise des processus industriels, Devakumar devient numéro deux du groupe en 2002. S’appuyant sur des partenaires techniques chinois, il conçoit un modèle de cimenterie robuste et peu énergivore qui fera le succès de Dangote Cement. Il pilote aujourd’hui l’expansion du groupe et prévoit d’ouvrir des cimenteries au Gabon, en Éthiopie, en Zambie, en Tanzanie et au Congo, ainsi que des terminaux cimentiers dans six autres pays. Christophe Le Bec
« Pour les Indiens, il est clair que l’avenir est en Afrique », souligne Alain Davezac, responsable d’Essar Group en Europe. Avec un chiffre d’affaires de près de 15 milliards d’euros, ce conglomérat indien est actif dans la téléphonie, les mines et le pétrole, de l’Ouganda au Mozambique. « En Afrique, les entreprises indiennes viennent chercher des consommateurs solvables. Car malgré l’essor économique du pays, entre 60 % et 70 % de la population indienne se réveille avec juste de quoi vivre », explique le chercheur Jean-Joseph Boillot, coauteur d’un essai sur la « Chindiafrique ».
Classe moyenne
Les produits fabriqués en Inde à bas coûts sont adaptés aux besoins de la classe moyenne croissante en Afrique. Mais New Delhi ne se contente pas d’écouler ses surplus sur le continent. Il investit aussi. L’indien Cipla est ainsi l’un des principaux fabricants de médicaments en Afrique du Sud, et son compatriote Strides Arcolab, spécialiste des génériques, a accueilli au capital de sa filiale africaine l’investisseur français Proparco afin de financer le développement de structures de production locale.
Au Gabon, le groupe Abhijeet, qui investit 1,2 milliard d’euros dans la transformation du manganèse, s’est engagé à créer localement environ 2 000 emplois et à former des techniciens gabonais dans chacun de ses métiers. Enfin, dans les coulisses du Forum économique mondial de Davos, fin janvier, les patrons du groupe Hinduja, déjà présent en Afrique du Sud, en Tanzanie et au Nigeria, affirmaient avoir eu des discussions avec plusieurs gouvernements, dont ceux du Ghana, de l’Ouganda, de l’Éthiopie, du Rwanda et du Gabon… Ce géant basé à Londres (19 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel) pourrait investir dans les transports, les mines ou la pharmacie.
Ces nababs est-africains
Kampala, le 4 août 1972. Le dictateur Idi Amin Dada ordonne aux quelque 60 000 Indo-Pakistanais habitant en Ouganda de partir dans les quatre-vingt-dix jours, avec autorisation de n’emporter qu’une valise et 10 % de leurs avoirs bancaires. Lire la suite ici
Loin de la logique chinoise du « ressources naturelles contre infrastructures », New Delhi joue le jeu des transferts de technologies et de compétences. Un partenariat gagnant pour les Africains. La démarche des groupes indiens, qui « embauchent des Africains et signent des contrats d’approvisionnement et de service avec des entreprises locales », favorise de fortes interactions, expliquait récemment dans une tribune Michael J. Strauss, spécialiste des relations internationales au Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris.
À l’instar de Bharti Airtel, dont le patron en Afrique francophone est un Ivoirien et dont les dirigeants des filiales sont des locaux, l’Inde entend aider le continent à développer son capital humain, sa ressource la plus précieuse. Le pays a ainsi conclu des accords avec le Ghana (technologies de l’information et de la communication), le Burundi (planification de l’éducation) ou encore l’Ouganda (commerce extérieur). Objectif : construire une centaine d’instituts de formation en Afrique dans des domaines allant de l’agriculture aux technologies de l’information.
Jean-Joseph Boillot : « Pékin et New Delhi, c’est le yin et le yang »
L’économie mondiale portée par la troïka Chine-Inde-Afrique en 2030 ? Le Français Jean-Joseph Boillot en est convaincu. Conseiller auprès du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), à Paris, mais aussi cofondateur de l’Euro India Economic & Business Group, il vient de publier Chindiafrique, un essai dans lequel il explique la dynamique qui fera de ces trois blocs un nouveau triangle de développement. Lire l’interview ici
Capitalisme familial
Les défis de l’Inde ressemblent à plus d’un titre à ceux de l’Afrique : une forte démographie, un niveau de pauvreté encore très élevé, des déficits en infrastructures et une population très hétérogène, avec 28 États aux cultures très différentes. L’expérience du sous-continent, qui s’est notamment imposé dans les services, peut être utile à l’Afrique. La structure du capitalisme indien, généralement familial, a plus d’une similitude avec la nature de l’économie africaine. Même si, du coup, les entreprises venues de New Delhi sont moins enclines à ouvrir leur capital à des actionnaires locaux.
« Le fait de détenir la totalité des entreprises permet de capter 100 % des fruits de la croissance africaine, explique un financier africain. Les Indiens ne sont pas des philanthropes. Ils sont aussi intéressés par les matières premières du continent pour soutenir leur croissance économique. » L’Inde, dépourvue de pétrole, importe déjà 20 % de son or noir depuis l’Afrique, notamment le Nigeria. ONGC, le mastodonte pétrolier public, a d’ailleurs fait de cette zone – avec l’Amérique latine – sa cible prioritaire pour diversifier ses approvisionnements.
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