Quatre chevaux, cent chameaux et un Boeing

Publié le 4 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Quand il y a une crise, quelque part, il y a ceux qui y voient un problème et d’autres qui y voient une chance, une opportunité comme on dit de façon incorrecte (c’est un anglicisme). Bref, quand il y a une crise, est-ce un problème ou est-ce une chance ?
Trois jeunes musulmanes d’Amsterdam viennent de donner une réponse éclatante à cette question. Leur constat est simple : il y a crise dans la société néerlandaise autour de la question des immigrés. Et, soyons clairs, autour de la question des immigrés d’origine musulmane. Eh bien, au lieu de se lamenter, essayons plutôt de voir les chances que cette crise produit. C’est ainsi qu’elles ont eu l’idée de créer une auto-école uniquement destinée aux femmes musulmanes d’Amsterdam.
Précisons que les trois jeunes femmes en question, deux Marocaines et une Turque, portent toutes les trois le voile dit islamique. Le voile de la Turque est d’ailleurs très coloré, très seyant, avec la forme un peu effilée d’une ogive, pour ne pas dire d’un missile. Les deux Marocaines s’en tiennent au voile, gris ou noir selon l’humeur.

Leur idée est géniale. En effet, beaucoup de femmes qui veulent apprendre à conduire ne le peuvent pas, car leurs convictions – ou leur mari – ne les autorisent pas à s’isoler avec un homme, l’instructeur, dans une voiture, pendant le temps de la leçon. Et même si l’instructeur est une instructrice autochtone, il y a toujours le danger qu’elle cherche à vous évangéliser en vous apprenant comment passer les vitesses. « Rétrogradez, oui, c’est ça, lentement, lentement, laissez Jésus entrer dans votre coeur… »
Comme ces trois jeunes femmes ont aussi l’art du marketing, non seulement elles donnent leurs leçons de conduite en habit islamique, mais même leurs voitures sont surmontées d’un panneau portant leur prénom : vous avez donc le choix entre Naima, Najat et Gudrun.
Cette initiative remporte un grand succès. Il y a même une file d’attente pour s’inscrire chez Naima, Najat et Gudrun. Certains maris trouvent la plaisanterie un peu saumâtre, car leur seule excuse d’interdire à leur femme d’apprendre à conduire a disparu. Pis encore, il paraît que certaines femmes immigrées ont maintenant leur permis de conduire alors que leur mari ne le possède pas. On assiste alors à de drôles de scènes, on voit des Peugeot conduites de main de maître, ou devrais-je dire de main de maîtresse, par d’imposantes matrones en tenue traditionnelle. À côté, un homme essaie de faire bonne figure. Il se triture la moustache, s’efforce de sourire. Mais il ne peut pas protester. Après tout, ce n’est pas haram que de conduire un véhicule. L’épouse du Prophète, Khadija, dirigeait elle-même sa caravane à travers le désert d’Arabie. Et qui peut mener cent chameaux peut bien conduire une quatre-chevaux, non ?

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À propos de l’excellente Khadija, quelques salafistes de la ville ont froncé le sourcil en entendant parler de l’auto-école 100 % féminine. À quoi bon délivrer des permis de conduire, qui pourraient se transformer en permis de s’enfuir ? Les femmes pieuses en ont-elles vraiment besoin ? Après tout, les Saoudiennes n’ont pas le droit de conduire. D’où des discussions enfiévrées dans les couloirs des mosquées.
– Pourquoi les Saoudiennes n’ont-elles pas le droit de conduire ?
– Pour ne pas avoir la possibilité d’aller à des rendez-vous galants à l’insu de leur mari.
– Mais comment font-elles pour aller faire les courses dans les hypermarchés aux portes des villes, quand leur mari est au travail ?
– Eh bien, elles disposent de chauffeurs, généralement un Pakistanais ou un Bangladais.
– Ah bon ! Donc, ces femmes vertueuses passent plus de temps avec leur chauffeur qu’avec leur mari ?
C’est ainsi que les opposants de Naima, Najat et Gudrun ont été contraints de baisser les bras. Les trois jeunes femmes ont donc gagné leur pari. Elles cherchent maintenant de nouvelles niches.
Une extension naturelle de leur idée serait de lancer une formation de pilote d’avion, de pilote femme, de pilotesse, quoi. À des fins très pacifiques : il s’agirait d’exploiter une ligne Amsterdam-Médine-La Mecque pour que les musulmanes non accompagnées puissent quand même accomplir le pèlerinage dans un appareil entièrement féminisé. Le nom de la compagnie est déjà trouvé : Al-Buraq. On sait que l’animal fabuleux qui emporta le Prophète dans son voyage au Paradis avait une tête de femme. La tradition ne précise pas si elle était voilée, mais peu importe. Les Boeing et les Airbus d’Al-Buraq Airways concilieront enfin la tradition du voyage (célébrée par Ibn Arabi, entre autres) et la modernité de la vitesse. Bravo, Naima, Najat et Gudrun !

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