Quand les Noirs s’organisent

Publié le 4 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le 26 novembre, dans une salle de l’Assemblée nationale, les responsables d’une soixantaine d’organisations de défense des droits des Africains et de collectifs antillais ont lancé le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran). Objectif affirmé : combattre les discriminations dont souffrent les Noirs dans l’Hexagone. Ils ont aussitôt reçu le soutien de personnalités politiques de tous bords (de l’UDF Patrick Lozès à Stéphane Pocrain, l’ancien porte-parole des Verts) et de quelques célébrités (Manu Dibango, Basile Boli), mais aussi une bordée de critiques émanant d’associations africaines déjà implantées en Île-de-France (un millier au total), qui apprécient modérément de ne pas avoir été consultées.
« Tout le monde pense que les Noirs sont incapables de s’organiser. Le Cran va apporter une bouffée d’oxygène. Nous sommes porteurs de revendications importantes et ambitionnons de devenir une force de proposition », explique Fodé Sylla, l’ancien patron de SOS Racisme, aujourd’hui adhérent du Cran. Des émeutes en banlieue aux récentes déclarations xénophobes d’une Hélène Carrère d’Encausse ou d’un Alain Finkelkraut, le contexte est indiscutablement favorable. « L’idée est dans l’air du temps, reconnaît Louis-Georges Tin, le porte-parole du Cran. Mais le projet est déjà ancien. »
Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2007, un certain nombre de responsables politiques et associatifs réfléchissent depuis un moment à la création d’une organisation capable de défendre les intérêts des Noirs. Au mois de février, lors d’un colloque sur le thème « les Noirs en France, minorité invisible » organisé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’idée d’une fédération prend forme. La loi sur les bienfaits de la colonisation adoptée quelques jours plus tard par les députés UMP puis les incendies de plusieurs hôtels où résidaient des migrants africains confortent les promoteurs du projet dans leur résolution. « Pourquoi n’interroge-t-on jamais les Noirs ? Soit on parle de nous, soit on parle contre nous, soit on parle pour nous », s’insurge Louis-Georges Tin.
La France a-t-elle changé au point qu’une communauté fondée sur la couleur de peau y soit envisageable ? « Les Français ont peur d’employer le mot « noir », explique Tin. Ils sont pris en étau entre une tradition raciste héritée du xixe siècle et une tradition antiraciste qui s’efforce de gommer les races. La gauche et la droite ont contribué à l’invisibilité des Noirs. »
Le Cran sera-t-il un lobby sur le modèle du Black Caucus américain ? Militera-t-il pour l’instauration d’une « discrimination positive » ? La plupart de ses membres le souhaitent et appellent de leurs voeux un recensement des Noirs de France. Reste qu’opérer la synthèse entre les aspirations de communautés pour le moins hétérogènes ne sera pas une partie de plaisir. En dehors de la couleur de leur peau, quel point commun entre un Guadeloupéen et un Malien ?
Déjà, certains collectifs antillais dénoncent le « lobby racial » que constitue, à leurs yeux, le Cran. D’autres critiquent sa « démarche antirépublicaine ». D’autres encore, comme l’écrivain Calixthe Beyala, présidente du Collectif Égalité, mettent en cause sa représentativité : « La médiatisation à outrance du Cran, qui n’a encore rien fait alors que d’autres travaillent depuis des années, a créé un malaise. Ses promoteurs donnent l’impression que la parole noire se limite à un seul petit groupe, le leur. »
Au reproche de communautarisme, les membres du Cran répondent qu’il faut arrêter de se voiler la face. « Les gens qui sont contre les communautés le sont, en réalité, contre certaines communautés. Ce n’est pas parce que nous voulons défendre les droits des Noirs que nous ne sommes pas solidaires d’autres causes. »
Pour se faire accepter et gagner une représentativité, le Cran envisage d’organiser un « mois de la culture noire », comme il en existe au Royaume-Uni, et un Congrès sur les questions noires, au printemps 2006. Par ailleurs, un questionnaire sera adressé aux partis politiques concernant leur contribution future à la lutte contre les discriminations. S’ils n’y répondent pas, le Cran le fera savoir. « Hier, personne ne s’apercevait de rien quand on ne parlait pas des Noirs, conclut Tin. Demain, personne ne pourra plus rester silencieux. »

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