Afrique plurielle

Publié le 4 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Alors que s’est réuni le XXIIIe Sommet Afrique-France (3 et 4 décembre, à Bamako), il est difficile de porter sur ce continent un regard synthétique tant il est hétérogène. Certains pays sont enlisés dans la souffrance, les violences. L’économie du Zimbabwe s’effondre, la catastrophe humanitaire du Darfour persiste, les conflits en Côte d’Ivoire et en RD Congo ne s’éteignent pas. Voilà l’Afrique des drames, dont les frontières sont mouvantes. Elle appelle au renforcement des interventions préventives et correctives des pays africains, comme de la communauté internationale. Récemment, plusieurs conflits ont pris fin en Angola, en Guinée-Bissau, au Liberia ou en Sierra Leone. Il pourrait en être de même pour d’autres dans un proche avenir. Signe encourageant, les organisations régionales, telles l’Union africaine et la Cedeao, jouent un rôle croissant dans les efforts de paix.

Mais il existe aussi une Afrique du succès. Un petit nombre de pays obtiennent des performances remarquables. Le Botswana, le Mozambique ou encore l’île Maurice ont su engendrer, ces deux dernières décennies, une croissance économique supérieure à 4 % par habitant et par an en moyenne. Le Cap-Vert et le Lesotho ont tenu un rythme de plus de 3 %, tout comme les Seychelles jusque récemment, ou encore l’Ouganda depuis quinze ans.
Si nombre de pays subsahariens connaissent des situations intermédiaires, il ne faut sous-estimer ni leurs défis ni leurs progrès. Une croissance par tête, lente mais régulière, s’est installée dans plusieurs espaces africains, même dans une des zones qui doit surmonter des contraintes particulièrement difficiles comme le Sahel : Bénin, Burkina Faso, Mali. Au plan politique, les avancées de la gouvernance démocratique et du multipartisme ont été importantes depuis la fin de la guerre froide.
La Commission des Nations unies pour l’Afrique considère déjà comme crédibles et légitimes une vingtaine de systèmes électoraux au sud du Sahara. La décentralisation a souvent stimulé les sociétés civiles. Les opinions publiques s’expriment plus librement. La proportion de jeunes qui savent lire et écrire a plus que doublé ces vingt dernières années. Une classe moyenne émerge.
Beaucoup d’espoirs ont été placés dans les Objectifs du millénaire pour le développement. Définis il y a cinq ans, ils engagent la communauté internationale à réduire de moitié la part de la population qui vit dans l’extrême pauvreté ; à diviser par deux les taux de mortalité infantile et maternelle ; à réaliser la scolarisation primaire universelle et l’égalité des sexes face à l’éducation ; à enrayer la propagation du paludisme et du sida. Tout cela avant l’an 2015.
L’Afrique plurielle est mal placée dans cette course aux ODM. Au rythme actuel, 42 pays pourraient ne pas atteindre la moitié de ces objectifs. Cela ne signifie pas qu’ils n’auront pas marqué des avancées significatives. Le « retard » pris sur les ODM comme la réalité des avancées invitent à la mobilisation. D’autant que, pour une fois, les pressions qui pèsent sur l’Afrique semblent tourner à son avantage.
Les termes de l’échange d’abord : leur détérioration s’est ralentie puis inversée ; entre 2000 et 2004, ils se sont même améliorés de 1 % par an pour les pays subsahariens – avec toutefois d’importants bémols pour des produits clés comme le coton. Les politiques commerciales du Nord ensuite : les plus nocives d’entre elles sont aujourd’hui au coeur des négociations à l’OMC. Le continent sort également d’une douloureuse crise de la dette. Enfin, le cycle noir des années 1990 pendant lequel l’aide publique au développement a été délaissée semble s’achever. Depuis 1997, si l’on y inclut les annulations de dettes, l’aide internationale à l’Afrique subsaharienne a augmenté de plus de 50 %.
Le soixantième sommet des Nations unies, en septembre dernier, a entériné l’engagement ferme d’un grand nombre de pays à consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide d’ici à 2015. L’investissement reprend. Il est indispensable pour faire face au défi d’une formidable croissance démographique qui portera le nombre des habitants de l’Afrique subsaharienne à 890 millions en 2015, sur des sols de plus en plus épuisés, avec des ressources en eau de plus en plus rares.
La question n’est donc pas « que faire d’une Afrique en déroute ? », comme cela est trop souvent posé, mais « que peut-on apprendre des succès africains ? » et « comment diffuser leurs enseignements ? » L’expérience montre que les pays qui s’engagent dans le changement peuvent obtenir des résultats durables. Avec l’aide accrue de la communauté internationale et une refonte plus juste du commerce international, une Afrique qui se réforme et surmonte ses crises peut devenir une zone de croissance et de grand espoir.

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* Kemal Dervis est administrateur du Programme des Nations unies pour le développement. Jean-Michel Severino est directeur général de l’Agence française de développement.

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