Sorcière d’Europe

Publié le 4 novembre 2007 Lecture : 2 minutes.

Vous tombez sur un ancien collègue, une flamme d’autrefois ou un ennemi du temps jadis Il y a deux possibilités : soit il (elle) n’a pas changé et vous y allez d’un cordial « eh, t’as pas changé ! », soit il (elle) est méconnaissable et vous vous fendez d’un hypocrite « je t’assure, t’as pas changé ». Mais parfois, il est impossible de mentir. C’est ce qui m’est arrivé hier. Je rencontre dans un café de Maastricht une amie d’antan, une avocate du barreau de Rotterdam. À l’époque où je la connaissais, elle avait une tête de juriste : chignon strict, lunettes classiques, maquillage sobre et ensemble jupe-tailleur à mourir d’ennui. Mais là, ses yeux disparaissent sous une tonne de khôl, son visage est blanc comme le plâtre, elle porte une espèce de cape rouge sang et ses cheveux sont ceux des Gorgones – on dirait que mille serpents y ont élu domicile et qu’ils dardent leurs têtes au-dehors, vibrant de curiosité.
– Salut, Marie. Euh, t’as pas chan En fait, t’as totalement changé. Qu’est-ce qui se passe ?
– J’ai un nouveau métier.
– T’es plus avocate ?
– Non, je suis devenue sorcière.
Et Marie de m’expliquer qu’elle en avait assez des juges, des procès et des tribunaux. Trop de paperasse, trop d’affaires qui se ressemblent, la routine l’étouffait. Alors elle s’est mise sorcière. C’est très sérieux. Il y a des cours de magie noire, des séminaires d’alchimie, des initiations à la kabbale. Un institut à La Haye s’occupe de la formation continue : Marie étudie le soir pour devenir spécialiste du mauvais il et de l’envoûtement. Elle abordera bientôt le déchiffrement des grimoires (ça, c’est au moins niveau licence). Nous sommes en 2007, au cur de l’Europe
– Et tu gagnes bien ta vie ?
– Mieux que quand j’étais avocate. Tu ne peux pas savoir le nombre de gens qui consultent les voyantes. Ils veulent savoir ce que l’avenir leur réserve : eh bien, je le leur dis. Ils veulent des « retours d’affection » : je fais ça aussi. L’exorcisme, je ne le pratique pas encore, il me manque quelques certificats, mais j’y travaille. Le samedi, je vais avec mes copines dans la forêt pour le sabbat des sorcières, on boit, on danse, on évoque Belzébuth et Mélusine, on échange des recettes de talismans et de philtres magiques
J’ai quitté bien vite le café, maussade : je croyais vivre dans le continent du rationalisme de Descartes, du scepticisme ironique de Voltaire ou de l’austérité de Wittgenstein, et voilà que je retombais sur les chouaffates, les voyantes de mon enfance ! Il ne manque plus que le fqih d’Azemmour qui me bastonnait et me crachait dessus pour chasser les démons.
En tout cas, le prochain qui se moque devant moi de nos cultures du Maghreb soi-disant arriérées, je lui tape sur la tête avec une amulette hollandaise et je le lapide à coups de pierre philosophale !

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