Pourquoi M6 a eu raison

Publié le 4 novembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Le Maroc avait vraiment l’intention d’acheter des avions de combat Rafale. Le roi l’avait clairement laissé entendre au président Jacques Chirac, et les industriels concernés, au premier rang desquels Dassault, avaient tendance à considérer que, le problème ayant été réglé au niveau politique, le marché était définitivement gagné (voir aussi pp. 86-87). Comme l’on sait, les Marocains ont finalement décidé d’acheter des F-16 américains. Que s’est-il passé ?

Pour certains, l’explication est simple : « c’est la faute à [Hervé] Morin ». En septembre, lors d’un colloque à Toulouse, le nouveau ministre français de la Défense avait en effet estimé que le Rafale était certes un avion « formidable », mais difficile à vendre. Tollé chez les industriels de l’armement et les spécialistes des questions de défense ! Chez Dassault, par exemple, on s’était déclaré « consterné ». Comme pour enfoncer le clou, Morin avait alors expliqué que les militaires français avaient un peu trop tendance à choisir des armes trop sophistiquées
Il est vrai qu’il peut sembler suicidaire de reconnaître les difficultés d’exportation du Rafale au moment où les négociations avec le Maroc étaient, croyait-on, sur le point d’aboutir. Si Morin l’a fait c’est, sans nul doute, qu’il savait déjà que le projet était moribond, sinon mort et enterré. A-t-il tenté de dédouaner le président Nicolas Sarkozy avant sa visite officielle dans le royaume ? Si cette hypothèse est la bonne, cela signifie que sa déclaration n’était pas une bévue, mais une manière de préparer l’opinion française à un nouvel échec du Rafale.
Reste à comprendre pourquoi le roi et ses conseillers ont été amenés à préférer le F-16 au « formidable » avion français. La raison en est simple : ce dernier est trop cher, en investissement comme en fonctionnement. D’une part, parce que c’est un biréacteur. De l’autre, parce qu’il a été développé et « industrialisé » par un seul pays, en nombre forcément très limité, et que son coût ne peut être amorti.
Avoir deux réacteurs puissants contribue largement à rendre le Rafale « formidable ». Cela lui permet de monter à la verticale en accélérant : le rêve de tout pilote de chasse amateur de sensations fortes. Le problème est de savoir à quoi sert de monter aussi vite. Longtemps, le fait de posséder une vitesse ascensionnelle importante fut une qualité essentielle des avions de défense aérienne. Face à des bombardiers volant à haute altitude, il fallait monter très vite pour les intercepter avant qu’ils aient atteint leurs cibles. En outre, face aux chasseurs escortant ces bombardiers, il fallait disposer de beaucoup de puissance pour gagner les « combats tournoyants », qui, à l’époque, se terminaient généralement par des tirs de mitrailleuse ou de canon.
Si les missiles n’avaient pas été inventés, la surpuissance du Rafale serait parfaitement justifiée. Mais aujourd’hui, l’important est d’avoir le meilleur radar, celui qui voit le plus loin ; d’être capable de traiter le maximum de cibles simultanément ; et, surtout, de disposer du meilleur missile, celui qui tire le plus loin et résiste le mieux aux leurres de l’adversaire. Or, dans ces domaines, le Rafale n’est pas « formidable ». Non en raison de l’insuffisance des ingénieurs français, mais tout simplement par manque d’argent. Le programme Rafale coûtant déjà aux contribuables français la bagatelle de 32 milliards d’euros, il n’y a plus de financement disponible pour maintenir en permanence l’appareil au niveau en matière d’équipements.
Les Américains ont, semble-t-il, proposé trente-six F-16 à un prix inférieur à la première proposition française pour dix-huit Rafale. Les Marocains sachant fort bien que l’entretien des réacteurs représente une part considérable du coût global de l’heure de vol – et que, bien sûr, plus il y a de réacteurs, plus la facture est salée -, ils ont très intelligemment demandé à la France une nouvelle proposition prenant en compte la maintenance des appareils. Après quoi, ils ont reculé devant le prix.

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À noter également qu’un biréacteur dispose d’un rayon d’action plus réduit. Plutôt que de voler avec deux réacteurs à puissance très réduite, mieux vaut le faire avec un unique réacteur – à mi-puissance, par exemple – et remplacer le poids du réacteur absent par du carburant.
À court terme, Mohammed VI aurait assurément rendu service à l’industrie aéronautique française en commandant des Rafale. À longue échéance, il n’est pas exclu qu’il lui ait rendu un service encore plus grand. À condition que ses responsables tournent vite la page du Rafale, comme ils ont su le faire pour le Concorde, et lancent rapidement, avec leurs collègues européens, un programme d’avion de combat monoréacteur à long rayon d’action. Alors, peut-être le Maroc sera-t-il le premier pays à commander cet avion « formidable ».

* Président du Collège des experts du Haut Comité français pour la défense civile.

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