Être gay en Afrique

Au nord comme au sud du Sahara, la loi et plus encore la société sont devenues largement hostiles à des pratiques sexuelles que la tradition admettait parfois.

Publié le 4 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Où donc l’homosexualité masculine est-elle encouragée par « l’habitude, courante chez les garçons, de coucher dans le même lit et par la masturbation réciproque » ? Sur quelle étrange planète l’homosexualité est-elle obligatoire et celui « qui refuse de s’adonner à cette pratique considéré comme bizarre » ? Qui sont ces « femmes stériles assez riches et d’un âge avancé qui épousent des jeunes filles en observant toutes les règles matrimoniales, y compris le versement de la dot » ? Et dans quelle contrée nous emmène-t-on, où les pères, à l’occasion, n’hésitent pas à prêter leurs fils à leurs amis et où « personne ne s’étonne lorsqu’un homme marié entretient chez lui quelques amants de sexe masculin » ?
On pourrait croire de telles observations issues de l’imagination enfiévrée d’un romancier avide d’intrigues croustilleuses. Il n’en est rien. Ces citations d’un « monde à l’envers » à peine croyable sont extraites des travaux de l’anthropologue et historien Boris de Rachewiltz, auteur, il y a près d’un demi-siècle, d’un livre-catalogue devenu mythique : Éros noir. Moeurs sexuelles de l’Afrique, de la préhistoire à nos jours. Nombre d’hommes et de femmes qu’il y a décrits, interviewés parfois, photographiés souvent, ont la déviance pour tradition et la différence en partage. Ils habitent tous le même continent et leurs pays ont aujourd’hui pour nom : Égypte, Libye, Kenya, Burkina Faso, Ouganda…
D’emblée, nous voici au coeur de la difficulté soulevée par le thème de cette enquête. Dans la mosaïque de croyances, de rites et de coutumes que représentait l’Afrique d’avant la conquête coloniale – islamique ou chrétienne -, chaque ethnie, chaque peuple exhibait des moeurs singulières. Certaines d’entre elles – initiation, excision, pratiques érotiques – ont survécu jusqu’à nos jours aux avatars de l’Histoire. L’interdit uniforme de l’homosexualité qui prévaut désormais dans toutes les nations indépendantes de l’Afrique, au nord et au sud du Sahara, ainsi que dans toutes leurs législations, laïques ou religieuses, est donc venu se plaquer sur un paysage social et culturel accidenté, disparate, bariolé, où ni les mots ni les gestes n’avaient la même signification.
Des écarts que l’on retrouve encore aujourd’hui et qui rendent souvent floue la frontière séparant la norme de la « différence » : on ne saurait qualifier de lesbiennes deux femmes qui se caressent dans un hammam de Fès ou de Tanger. Des adolescents, certes formés mais pas encore initiés – donc libres de leur corps aux yeux de la morale collective -, se livrant dans la forêt congolaise à des « jeux » qui n’ont rien d’innocents sont eux aussi, à l’évidence, « hors sujet ». Comme ces mâles originaires d’Alger, de Tunis ou de Casablanca qui prouvent leur virilité en l’exerçant sur des camarades consentants, sans cesser pour autant, dans leur foyer, de se comporter en époux puritains et en pères autoritaires ! En Afrique plus encore qu’ailleurs, la norme sexuelle s’apprécie donc relativement aux situations locales. L’homophobie affronte des réalités particulières et les modalités d’application de la loi, chacun le sait bien, l’emportent ici de loin sur la lettre des textes.
C’est la raison pour laquelle nous avons davantage voulu rassembler des témoignages et des éclairages singuliers que nous n’avons cherché à prononcer une conclusion générale. Si la répression est uniforme, bien qu’elle s’exerce à des degrés divers, l’homosexualité, elle, porte encore la marque des traditions multiples dans lesquelles elle s’inscrit. À chacune des étapes de ce voyage à l’intérieur de l’Afrique des gays, il nous faudra veiller à ne pas l’oublier.

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