Thierry Le Floch

Commandant de bord et vice-président du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), en France.

Publié le 4 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique/l’intelligent : Quelles sont vos réactions après la publication de la « liste noire » ?
Thierry Le Floch : Sur le principe, cela nous satisfait. Mais sa composition est critiquable. Les cinq compagnies jugées dangereuses ne viennent pas en France. Il n’y a donc rien de nouveau. Cette liste ne correspond pas aux exigences en matière de sécurité aérienne.
J.A.I. : Peut-on envisager une « liste noire » internationale avec des critères communs ?
T.L.F. : Nous le souhaitons. Du fait de la mondialisation, une liste noire n’a de sens que si tous les États la reconnaissent. Or, à ce jour, nous voyons des contradictions au niveau européen. Nous demandons donc une liste unique élaborée sous l’autorité d’une instance internationale, respectée et appliquée dans chaque pays.
J.A.I. : Les contrôles de sécurité sont-ils assez rigoureux ?
T.L.F. : Il n’existe pas d’organisme de contrôle performant. Nous demandons la création d’une unité spéciale de « gendarmes du ciel » composée de professionnels indépendants (ingénieurs, pilotes et mécaniciens) pouvant opérer dans l’espace européen. Il faut vérifier la compétence des équipages. Pour l’état technique, on peut immobiliser les appareils pour des investigations plus poussées. Le mieux serait que cela se fasse au niveau mondial, mais l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) reconnaît le principe de souveraineté nationale. L’Oaci dispose uniquement de moyens d’analyse. C’est une organisation de diplomates et non de techniciens. Chaque anomalie constatée fait l’objet de transactions diplomatiques. Il ne suffit pas de constater des anomalies, encore faut-il une volonté politique pour les corriger.
J.A.I. : Le ciel africain est considéré comme le plus dangereux au monde, pourquoi ?
T.L.F. : En Europe et en Amérique du Nord, les compagnies aériennes doivent équiper leurs avions en technologies embarquées [outils informatiques d’aide au pilotage NDLR]. Pas en Afrique. Ensuite, les normes concernant « le maintien des compétences des pilotes » sont insuffisantes. Il faut respecter sur le continent les règles appliquées ailleurs pour arriver au même niveau de sécurité.
J.A.I. : N’y a-t-il pas aussi un problème de maintenance des appareils en Afrique ?
T.L.F. : Globalement, l’entretien des avions se fait dans des centres agréés par des organismes de certification. Le respect des programmes de maintenance est obligatoire, avec des contraintes identiques partout. Le problème se pose en revanche pour les appareils plus anciens, soumis à d’autres règles. Notamment les vieux avions de l’ex-URSS (Tupolev et autres). Mais il faut bien faire la distinction entre l’entretien ordinaire, qui ne fait pas l’objet d’une maintenance agréée, et celui des organes de sécurité. Pour l’entretien ordinaire, on est confronté au laxisme des compagnies, mais la sécurité n’est pas forcément menacée.
J.A.I. : Et concernant les avions en surcharge ?
T.L.F. : Ces dérives se sont installées parce que les autorités de contrôle des États ne font pas leur travail. Les compagnies ont pris de mauvaises habitudes, jusqu’à 8 tonnes de surcharge lors de la catastrophe de Cotonou. Il faut une volonté politique pour faire appliquer les règlements, avec à la clé des sanctions en cas d’infractions. La gamme des mesures répressives reste à étudier : amendes, interdictions de vol, arrêts d’exploitation. Pourvu que cela soit dissuasif.
J.A.I. : Le développement du trafic conduit-il fatalement à une augmentation des accidents ?
T.L.F. : Selon une étude réalisée par Boeing il y a une quinzaine d’années, nous devrions avoir un accident majeur par semaine durant la période 2005-2010, du fait de l’augmentation du trafic (si le taux d’accidents suit celui des années 1980). Le constructeur américain avait alors préconisé l’intégration de nouvelles technologies et l’amélioration de la formation des pilotes. Cela a été appliqué dans la plupart des cas et nous avions enregistré des progrès. Les années 2003-2004 ont été exceptionnelles par leur petit nombre d’accidents. Aujourd’hui, l’attention s’est relâchée. On a pu croire que les objectifs étaient atteints, que la sécurité n’était plus la priorité numéro un, et que l’on pouvait se contenter d’une gestion économique des compagnies. Les financiers et les gestionnaires ont pris le pas sur les techniciens et les pilotes. On voit les résultats. Il ne faut pas sacrifier la sécurité sur l’autel de la rentabilité. Il en va de la confiance des passagers.

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