Dans la tête d’un kamikaze
Paradise now, de Hany Abu-Assad (sortie à Paris le 7 septembre)
Publié le 4 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.
Par les temps qui courent, il est d’usage de traiter la question du terrorisme sur le mode de la pure et simple dénonciation. On ne discute pas avec un terroriste, on le neutralise, même quand il ne s’agit que d’un vague suspect. L’intolérable, c’est l’intolérable, un point c’est tout ! Il est plus ardu, et délicat, de tenter d’expliquer et plus encore de comprendre le phénomène. C’est manifestement très « politiquement incorrect ». Surtout quand il s’agit des attentats-suicides qui font des victimes civiles.
Voilà pourquoi Paradise now, qui évoque en détail les faits et gestes de deux kamikazes palestiniens pendant les vingt-quatre heures qui précèdent leur passage à l’acte à Tel-Aviv, est un film à part. D’autant que, pour aborder le sujet, Hany Abu-Assad n’a pas hésité à aller jusqu’au bout de sa démarche. Le spectateur n’observe pas de l’extérieur le comportement de Saïd et Khaled jusqu’au moment fatidique. C’est directement à travers le regard de ces deux amis d’enfance de Naplouse qu’on va suivre leur parcours. Le réalisateur donne donc la version des terroristes sur leur vécu, leurs pensées, leurs motivations pendant les vingt-quatre heures qui suivent l’instant où un responsable « militaire » leur annonce que, puisqu’ils s’étaient portés volontaires pour le « martyre », le temps est aujourd’hui venu de tenir leur promesse.
Le résultat, évidemment, n’est pas un film épique. Même s’il peut se voir comme un thriller, son parti pris le pousse plutôt vers le genre psychologique. Comme la plupart des kamikazes, assure le réalisateur, qui a mené une enquête serrée à ce sujet (lecture des interrogatoires, examen des rapports disponibles, entretiens avec les familles, etc.), les deux « héros » de Paradise now sont en effet des hommes plutôt ordinaires. Qui aiment leur famille, ont un travail, connaissent des émois amoureux, etc. Alors pourquoi décident-ils d’accomplir un geste extrême, irréversible pour eux comme pour leurs victimes ?
À mesure qu’on en apprend plus sur leur passé, sur leurs interrogations face à un avenir bouché et, surtout, sur ce que peut être la vie quotidienne sous une occupation oppressante et interminable, on commence à comprendre un peu mieux ce qui peut conduire à une telle attitude désespérée. Mais sans jamais qu’une explication claire et simple apparaisse à l’écran. Ni que l’enchaînement des événements paraisse inéluctable. Au contraire : rien ne se passera comme prévu. Et rien ne viendra justifier à proprement parler le dessein des deux hommes.
Cette approche non manichéenne permet même au réalisateur de glisser quelques scènes d’humour : une panne de la vidéo oblige par exemple à reprendre plusieurs fois le tournage du petit film-testament traditionnel des kamikazes, ce qui trouble suffisamment l’un d’eux pour qu’il estime nécessaire… de dire à sa mère en guise d’adieu, comme un oubli à réparer, dans quel magasin de Naplouse elle trouvera des filtres à eau moins chers qu’ailleurs. Cette approche permet aussi de faire exister des personnages secondaires très consistants, comme ces deux femmes – une veuve au destin tragique et une amoureuse qui prêche sans succès la raison à l’un des kamikazes – que jouent superbement Hiam Abbas et Lubna Azabal.
Considéré comme un réalisateur prometteur depuis la présentation, à Cannes en 2002, du Mariage de Rana, Hany Abu-Assad confirme sa capacité à traiter courageusement et non sans talent des sujets complexes. Pari tenu, donc, avec ce film à la fois très dur et humaniste. Paradise now n’est pas pour autant entièrement réussi. Qu’il pose autant ou plus de questions qu’il n’apporte de réponses peut être porté à son crédit. Mais s’il évite presque toujours le piège du didactisme, il aurait sans doute gagné à privilégier la force de l’« action », plus révélatrice que toutes les conversations – trop nombreuses – dès qu’il s’agit de se demander comment les protagonistes « vivent » leur destin.
